Ne prétextons pas la charte d’Amiens pour renoncer à s’engager pour la transformation sociale
La FSU et la CGT appellent à voter pour le programme du Nouveau Front Populaire. La singularité d’un tel appel a été soulignée par la presse dont une part prétend qu’un tel choix contreviendrait à la charte d’Amiens, engament historique du syndicalisme français dans l’indépendance politique.
Il faut tout d’abord récuser l’idée que la charte d’Amiens constituerait un engagement de neutralité politique des syndicats. La finalité de l’action syndicale y était définie comme la « lutte à mener pour la disparition du salariat et du patronat. », ce qui constitue d’évidence un projet politique, d’autant qu’il se concrétisait par un objectif « d’émancipation intégrale qui ne peut se réaliser que par l’expropriation capitaliste ». Ce qu’affirme la charte d’Amiens c’est la légitimité du syndicat à mener ce combat sans être sous la dépendance d’un parti politique particulier parce que cela permet d’affirmer aux salariés un « devoir d’appartenir au groupement essentiel qu’est le syndicat » et cela « quelles que soient leurs opinions où leurs tendances politiques ou philosophiques».
Victor Griffuelhes, un des acteurs de la signature de cette charte en rappelait l’ambition : « réaliser sur le terrain économique l’unité concrète de la classe ouvrière : plus de jauressistes, de guesdistes, d’allemanistes[1], d’anarchistes, rien que des syndicalistes marchant réconciliés au même combat de classe. ». Ce qui fonde la charte d’Amiens n’est donc pas une volonté de dépolitisation du syndicalisme mais l’affirmation d’une indépendance pour permettre de rassembler l’ensemble de la classe ouvrière dans le combat syndical. Et cela à la fois pour défendre « l’accroissement du mieux-être des travailleurs par la réalisation d’améliorations immédiates, telles que la diminution des heures de travail, l’augmentation des salaires, etc. » et le projet d’une « réorganisation sociale »[2].
La charte d’Amiens institue la classe ouvrière comme actrice de son histoire par l’association syndicale. Elle affirme que la légitimité de l’action syndicale n’est pas seulement revendicative et nous incite à redevenir capables d’inventer un monde nouveau.
Au congrès de Toulouse, en mars 1936, celui de la réunification de la CGT et de la CGTU, un nouveau texte venait compléter la charte d’Amiens. Il affirmait que le mouvement syndical « se réserve également le droit de prendre l’initiative de ces collaborations momentanées, estimant que sa neutralité à l’égard des partis politiques ne saurait impliquer son indifférence à l’égard des dangers qui menaceraient les libertés publiques, comme des réformes en vigueur ou à conquérir. ».
Quelques mois avant les législatives d’avril 1936 qui porteront le Front Populaire au pouvoir, le syndicalisme rappelait que la charte d’Amiens ne confondait pas l’affirmation de l’indépendance avec une indifférence aux dangers menaçant les libertés publiques.
[1] Membres du Parti ouvrier socialiste révolutionnaire (POSR) fondé par le communard Jean Allemane qui constituera une des composantes de la SFIO.
[2] Reprenant le terme de la charte d’Amiens, l’usage désigne cette double finalité comme « la double besogne »
Éditorial de la lettre de l’Institut de recherches de la FSU du 25 juin 2024
Paul Devin, président de l’IR.FSU