Published On: 23 novembre 2021Categories: Editoriaux de la lettre électronique

On ne naît pas femme… mais on en meurt[1]

Le 20 novembre, le jour même où nous défilions pour lutter contre les violences faites aux femmes, le chiffre de cent féminicides depuis le début de l’année a été à nouveau dépassé…

Si on s’en tient à la comptabilité des statistiques officielles[2], ce sont plus de 210 000 femmes, de toutes catégories sociales, qui sont victimes de violences agies par leur conjoint ou leurs proches : maltraitance psychologique, coups, viols, féminicides. Et les estimations des enquêtes ne nous livrent qu’une part de la réalité parce que la plupart de ces violences restent circonscrites dans le huis-clos du couple ou de l’environnement proche.

Difficile de constater les effets de la « grande cause du quinquennat » qui annonçait que « le premier pilier de cette cause était la lutte pour l’élimination complète des violences faites aux femmes ». Force est de constater que nous restons incapables de protéger celles qui sont meurtries par les coups et en périssent. Le discours gouvernemental continue pourtant à nous assurer de sa détermination et prend à témoin les évolutions légales et réglementaires qu’il a conduites ou les dispositifs qu’il a engagés. Mais la réalité résiste :  on peine à trouver des places d’hébergement d’urgence, les conditions d’accueil dans les commissariats soient encore trop dissuasives pour venir y porter plainte, les bracelets anti-rapprochement et les « téléphones-danger » restent dans les placards au lieu d’être attribués … et de cruels faits divers rappellent que des femmes qui auraient dû être protégées ont été laissées seules face à leur bourreau[3].

La justification rhétorique d’exceptionnelles avancées des politiques mises en œuvre peine à résister aux analyses et aux constats des graves défaillances de la police et de la justice qui continuent à épargner les auteurs de violences et à laisser les victimes sans protection.

Quelques données[4] parleront d’elles-mêmes :

  • Une majorité des féminicides est agie par des auteurs qui faisaient l’objet d’une interdiction d’entrée en contact avec la victime.
  • La récidive des auteurs de violences contre les femmes est trois fois plus élevée que la récidive criminelle.
  • 80% des plaintes sont insuffisamment qualifiées (par exemple « différent familial» au lieu de « coups » ou « nuisances » au lieu de « violences »), ce qui conduit à leur classement avec un simple rappel à la loi. Cette qualification insuffisante est encore plus forte dans les mains levées.
  • Les enquêtes préliminaires négligent souvent d’auditionner les auteurs ou les témoins de voisinage.
  • L’empirisme de l’appréciation du danger comme le cloisonnement des traitements (parquet, juge correctionnel, juge aux affaires familiales, juge des enfants) conduisent une évaluation défaillante incapable de protéger les victimes des dangers encourus.

Force est de constater que la cécité de nos institutions persiste, continuant à produire, au travers de ses pratiques, l’invisibilisation et la relativisation des violences faites aux femmes. Continuent à coexister un discours nous assurant d’une prise de conscience politique et une réalité quotidienne où le pouvoir masculin est tellement présent qu’il perpétue ses dominations les plus violentes aux dépens d’une culture égalitaire de protection des victimes.

Interrogée sur le bilan du quinquennat, Marlène Schiappa en appelait à la lenteur nécessaire des mutations culturelles de la « transition féministe[5] ». Faut-il, dans l’attente, que le sort des victimes soit livré à l’aléa de ces mutations culturelles ? La justice peut-elle être rendue différemment selon que ses acteurs sont conscients des enjeux réels ou qu’ils sont envahis par des stéréotypes et des préjugés machistes qui conduisent à la banalisation des pires violences ?

[1] Slogan, manifestation du 25 novembre
[2] Rapport d’enquête « Cadre de vie et sécurité », 2019
[3] Par exemple, Virginie BALLET, Féminicide de Mérignac : une série de défaillances et de dysfonctionnements, Libération, 12 mai 2021 ; Julie RICHARD, Féminicide à Hayange : Tout le monde savait qu’il la battait, Libé, 27 mai 2021
[4] Sénat, Rapport n° 597, juillet 2020
[5] France Inter, Questions politiques, 21 novembre 2021
[5] France Inter, Questions politiques, 21 novembre 2021

Éditorial de la lettre de l’Institut de recherches de la FSU du 23 novembre 2021
Paul Devin, président de l’IR.FSU