C’est une véritable bataille culturelle à laquelle se livre Robert Ménard derrière son mandat municipal : celle d’une instrumentalisation de l’histoire au service d’une idéologie réactionnaire. Interprétations, simplifications, déformations, recyclage des figures historiques, changement du nom des rues, toutes les stratégies sont bonnes y compris les plus provocatrices pour banaliser les idées de l’extrême-droite.
Richard Vassakos est professeur d’histoire-géographie et chercheur associé au sein du laboratoire Crises de l’université Paul-Valéry-Montpellier-III. Il est président de l’Association Maitron Languedoc-Roussillon et de l’APHG de l’académie de Montpellier
Richard Vassakos
La croisade de Robert Ménard, une bataille culturelle d’extrême-droite
Libertalia, 2021, 176 pages, 10€
Trois questions à Richard Vassakos
Propos recueillis par Kareen Bouissière Boulle et Paul Devin
Parmi les élus locaux d’extrême droite, Robert Ménard est-il un cas à part du fait du réseau de relations dont il dispose, notamment par son ancienne activité de reporter et de responsable de RSF ?
En effet, il a une position tout à fait originale qui le place au carrefour des médias et de la politique. Par son statut de maire d’une ville de province, déclassée économiquement, sinistrée socialement, il se pose en incarnation de l’homme de terrain. Cela lui permet de faire valoir son expérience de maire d’extrême droite et son ancrage dans le « pays réel ». D’autre part, grâce à son passé de journaliste et sa réputation de « bon client », il a un accès absolument invraisemblable aux grands médias audiovisuels. Un journal Biterrois a comptabilisé 70 passages à la radio et à la télévision au premier semestre 2021. Des maires de grandes métropoles comme Toulouse, Montpellier, Marseille, Lyon et bien d’autres ne bénéficient pas d’une telle couverture. Cela lui permet de faire passer son discours idéologique de façon lancinante, en utilisant en particulier le cadre historique pour mener des polémiques et créer des coups d’éclat. Cela a notamment été le cas avec l’affaire Black M en 2016 lorsqu’il a pris la tête d’une croisade médiatique pour empêcher le chanteur de participer aux célébrations du centenaire de la bataille de Verdun avec des arrière-pensées xénophobes et nationalistes.
Robert Paxton disait que « Vichy a gagné la bataille de la mémoire ». En quoi la méthode « ménardienne » pourrait-elle être un exemple de l’affirmation de cet historien américain ?
On peut considérer en effet que la méthode appliquée par Robert Ménard lui permet de mener et de remporter la bataille culturelle. Alors qu’il affirme ne pas faire de politique, qu’il dit privilégier le bon sens ou le pragmatisme, il ne cesse en réalité, à travers ses discours historiques et ses pratiques, d’enraciner son idéologie d’extrême droite. Au détour de discours commémoratifs, il évoque ainsi le choc des civilisations, le grand remplacement (toujours euphémisé) et met en avant un vieux fond maurassien. Il se livre également à du prosélytisme religieux en promouvant dès qu’il le peut le catholicisme. Il le fait de façon très habile mais à la longue, le ressassement fait d’une distorsion ou d’une manipulation historique un poncif communément admis. D’autres figures de l’extrême droite comme Éric Zemmour ou Marion Maréchal ne font pas autre chose, chacun jouant sa propre partition, en martelant ces mêmes rengaines. Tout cela contribue à la conquête de positions culturelles dans l’espace public et leur permet de gagner la bataille des idées. Il y a donc une véritable guerre de l’histoire menée par l’extrême droite pour forger un récit identitaire instituant un « nous » et un « eux ». Robert Ménard est un rouage parmi d’autres de cette bataille mais aussi l’illustration de l’enracinement d’un frontisme municipal.
Vous avez soutenu, en 2016, vos collègues enseignants d’histoire du lycée Jean-Moulin de Béziers qui protestaient contre « l’instrumentalisation et le retricotage de l’Histoire à des fins strictement polémiques ». Robert Ménard menace-t-il le travail de neutralité et de vérité des enseignants d’histoire ?
Je consacre un petit chapitre à la question de l’école et plus généralement des rapports du maire avec les enseignants et enseignants chercheurs. Il fait un procès d’intention aux professeurs en considérant qu’ils sont politisés et partiaux. Il avait d’ailleurs traité de « porteurs de valises » ceux qui osaient lui porter la contradiction en 2016. Ce faisant, il dénie toute légitimité aux professeurs et aux historiens accusés de professer la haine de la France et de son histoire. Dans sa bouche des historiens reconnus comme Benjamin Stora sont des falsificateurs et l’Éducation nationale, la première des « écuries d’Augias » à nettoyer. S’il ne peut pas influencer directement le travail des enseignants d’histoire, par sa pratique culturelle et ses discours, il véhicule une relecture identitaire et nationaliste des évènements historiques que l’on retrouve parfois dans certains questionnements d’élèves. De ce fait, il y a un enjeu essentiel pour les historiens et les enseignants, un rôle social comme le souligne Nicolas Offenstadt dans la préface, celui de forger un esprit critique pour des citoyens en devenir face aux pièges tendus par les manipulations du passé.