texte publié dans le dossier « Santé au travail : l’activité en question » du numéro 27 de Regards Croisés, juillet-août-septembre 2018 (preprint). Voir le sommaire du dossier.
Santé au travail : l’activité en question
La définition de la santé par l’O.M.S comme un état complet de bien-être1 est désormais intégrée par les organisations syndicales françaises. En témoigne la multiplicité de leurs publications consacrées à la santé au travail qui s’y référent, par souci de clarté, mais également du fait de la portée politique d’une telle définition, la question de la santé au travail ne faisant qu’un, dès lors, avec la question de l’émancipation du travail ou par et dans le travail, si tant est qu’il soit possible de concilier travail et bien-être.
Néanmoins, cette définition a fait l’objet de nombreuses critiques ne serait-ce que parce qu’elle définit la santé comme un état, entendu de façon statique, alors que la santé est d’abord un processus dynamique2, le résultat de l’activité d’un sujet, tributaire de conditions physiques, psychiques et sociales, qui font de la santé un état précaire, toujours à reconstruire, c’est-à-dire moins un état qu’une conquête de chaque instant, moins un but qu’une ressource pour l’activité.
C’est ainsi que la Charte d’Ottawa, en 1986, propose de définir la santé comme « la mesure dans laquelle un groupe ou un individu peut, d’une part, réaliser ses ambitions et satisfaire ses besoins, et d’autre part, évoluer avec le milieu ou s’adapter à celui-ci »3.
Cette définition n’annule pas pour autant celle de 1946 qui reste un horizon d’action. Elle la complète en mettant l’accent sur l’importance des conditions à réaliser et des ressources dont les individus ou les groupes ont besoin pour vivre et travailler en bonne santé.
C’est pourquoi nous avons voulu, dans ce dossier consacré à la santé au travail, mettre en avant ce double point de vue de l’activité et des ressources pour agir.
L’activité, c’est celle déployée par les salarié.es pour bien faire leur travail tout en restant en bonne santé, ce qui est loin d’aller de soi dans des contextes marqués par des mutations technologiques et organisationnelles importantes ; mais c’est aussi celle des militant.es et des représentant.es des personnels au sein des CHSCT qui se sont emparé.es des questions de santé au travail, s’efforçant d’acquérir, parfois très rapidement, les connaissances et compétences nécessaires à un travail efficace, tant la santé est le résultat d’un processus de production complexe à la fois individuel et collectif.
Du côté des ressources, c’est-à-dire des conditions de la santé au travail, des questions émergent qui doivent être appréhendées aussi d’un point de vue syndical : comment une organisation du travail prend-elle en charge les différents âges de la vie ou aide-t-elle les salarié.es à faire face aux réformes ? Comment penser la formation continue pour qu’elle soit une vraie ressource pour les personnels ? Quel devenir pour la santé au travail dans un contexte marqué par la disparition des CHSCT ? Comment les organisations syndicales peuvent-elles rester, ou devenir plus qu’elles ne le sont déjà, de véritables ressources pour les salarié.es ? Cela peut-il se faire sans aller davantage sur le terrain du travail réel ? Apprendre à écouter le travail, à (se)former à l’analyse du travail pour le transformer4, ne devient-il pas un enjeu politique à part entière où la question de la santé au travail ne ferait qu’un avec les progrès de la démocratie dans les milieux de travail et dans les organisations syndicales ?
Avec ce dossier et dans la suite des précédents5 nous espérons contribuer à la réussite de cet engagement du mouvement syndical dans la promotion de la santé au travail, pour montrer que la souffrance au travail et la perte de sens des métiers ne sont pas des phénomènes inéluctables: une autre approche du travail est possible !
Pour le chantier « Travail et syndicalisme »6 de l’IR-FSU
Marie-Hélène Luçon
1 La définition complète est la suivante : « La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ». Préambule de la Constitution de l’Organisation Mondiale de la Santé de 1946.
2 Voir, plus loin, l’article de Marc Guyon et notamment sa référence à G. Canguilhem, Écrits sur la médecine (2002) : « je me porte bien dans la mesure où je me sens capable de porter la responsabilité de mes actes, de porter des choses à l’existence et de créer entre les choses des rapports qui ne leur viendraient pas sans moi »
3 Cette Charte a été établie à l’issue de la Première Conférence Internationale sur la Promotion de la Santé qui s’est tenue à Ottawa (Canada) du 17 au 21 Novembre 1986, et à laquelle ont participé 212 délégués de 38 pays.
4 Voir l’ouvrage de Marianne Lacomblez et de Catherine Teiger, Se former à l’analyse du travail, Presses de l’Université de Laval, 2013 ainsi que leur article dans ce présent dossier
5 Nouveaux Regards n°37-38, n° 50 et Regards Croisés n°12
6 En plus des auteurs, ont contribué à ce dossier : Yves Baunay, Gérard Grosse