« Le sexisme, on ne sait pas toujours comment ça commence, mais on sait comment ça se termine… »

Quand le titre d’un rapport provoque à ce point une sensation de désastre annoncé, on ose à peine l’ouvrir, de crainte d’être confronté·e à des chiffres et des constats tous plus alarmants les uns que les autres.

Depuis 2017, le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes publie un rapport annuel sur l’état des lieux du sexisme en France. Les données analysées sont l’occasion pour le HCE d’émettre une série de recommandations à destination des institutions, entreprises, etc. Dans le rapport de cette année , deux faits marquants exigent de s’interroger sur l’efficacité des mesures prises, d’une part et sur l’absence de certaines mesures, d’autre part.
Certes, en France, les droits des femmes progressent considérablement grâce aux luttes féministes. L’une des dernières victoires, l’inscription de l’IVG dans la Constitution, est toutefois amoindrie par rapport au projet initial : « La loi garantit l’effectivité et l’égal accès au droit à l’interruption volontaire de grossesse. » est ainsi reformulé : « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse. » Le choix des termes est loin d’être anodin, car la notion de droit porte cette obligation d’accès, dont on sait qu’il est rendu de plus en plus difficile, quand ce n’est pas nié, dans certains autres États (USA par exemple).
Mais le sexisme continue à faire ses ravages dans la société. C’est ce que nous apprend le Baromètre Sexisme à l’origine du rapport : les femmes restent inégalement traitées par rapport aux hommes, et elles restent victimes d’actes et propos sexistes dans des proportions importantes. De fait, le nombre et la gravité de ces actes augmentent, dans l’espace public, professionnel, privé, numérique…

Depuis le premier rapport du HCE sur ce thème en 2017, on aurait pu penser que la mobilisation #MeToo, par exemple, aurait des effets en termes de sensibilisation, de prise de conscience. Or, et c’est l’un des aspects inquiétants des résultats du sondage, « l’opinion reconnaît et déplore l’existence du sexisme mais ne le rejette pas en pratique ».
Plusieurs affaires, hyper médiatisées ces derniers mois, en ont été la marque : des femmes ont pris la parole (ce qui était courageux au vu de ce qui les attendait) pour dénoncer des faits de sexisme, de violence dans le milieu de la politique, des médias, etc. Face à tous ces récits pourtant documentés sur la réalité des faits, les hommes accusés ont systématiquement été soutenus, par des personnes des deux sexes, alléguant l’exagération des propos, minimisant la gravité des faits et, logiquement, souhaitant que ces hommes soient maintenus dans leur légitimité politique ou professionnelle. C’est ce que confirme Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des Femmes, pour qui «#MeToo est un mouvement de victimes sans coupables. #MeToo reste à faire pour résoudre le paradoxe d’une société convaincue d’avoir pris conscience de l’ampleur des violences sexuelles, mais qui n’en tire aucune conséquence pour ceux qui en sont les responsables ». D’ailleurs, la notion de consentement, elle aussi largement déployée par les mouvements féministes, est interrogée pour la première fois dans le sondage. Les réponses sont édifiantes et confortent l’idée que le sexisme continue de modeler bien des comportements, dans la sphère publique mais aussi privée : « des situations de rapports sexuels non consentis sont clairement restituées : plus d’un tiers, soit 37 %, des Françaises interrogées ont déjà vécu une situation de non-consentement. » On se souvient, à ce propos, de la révélation qu’avaient constitué les résultats de l’enquête sur « le consentement dans les rapports hétérosexuels » lancée sur les réseaux sociaux par #NousToutes en février 2020. En 10 jours, plus de 100 000 personnes avaient répondu (1) .

Globalement, les données illustrent des situations qui empirent d’une année sur l’autre :
• augmentation de 21 % du nombre de victimes de violences conjugales entre 2020 et 2021,
• violence en ligne, virulence accrue sur les réseaux sociaux,
• barbarie dans de très nombreuses productions de l’industrie pornographique,
• affirmation d’une sphère masculiniste et antiféministe.
Enfin, l’année écoulée a été particulièrement marquée par le phénomène de «backlash», mouvement réactionnaire à l’égard des femmes. Il faut ici préciser, et c’est désespérant, que le sondage met en lumière « un ancrage plus important des clichés «masculinistes» et une plus grande affirmation d’une « masculinité hégémonique» pour la génération des 25-34 ans.

À la lecture de ce genre d’informations, la question se pose : comment se fait-il que la jeunesse de ce pays soit à ce point éloignée d’une vision égalitaire des rapports de sexe ?
C’est dans les recommandations qu’il faut trouver au moins un élément de réponse. La première partie du rapport s’attache ainsi à montrer la nécessité d’« agir sur les mentalités ».
Cela passe bien entendu par l’éducation :
• «Dégenrer les jouets destinés aux enfants dès la naissance.
• Garantir la tenue des enseignements obligatoires à la sexualité et à la vie affective, prévus par la loi.
• Inclure dans les recommandations émanant du conseil national des programmes l’obligation de justes représentation et proportion de figures féminines dans les manuels, les programmes scolaires et les sujets d’examen, et conditionner leur mise sur le marché à cette juste représentation des femmes.
Plus loin, il est également question d’« agir sur les effets », notamment en renforçant « la lutte contre les violences sexistes et sexuelles en milieu scolaire.»

Pour les adultes, la formation, dans le cadre de l’emploi, est aussi une des conditions pour espérer un recul des stéréotypes et des comportements sexistes : « Évaluer et labelliser les formations existantes de prévention et de lutte contre le sexisme au travail, rendre obligatoires ces formations par tous les employeurs. »

Combien de rapports de ce genre faudra-t-il pour que les pouvoirs publics prennent enfin leurs responsabilités dans le traitement, et surtout la prévention de ces comportements ?
Combien de féminicides faudra-t-il encore pour que des mesures de nature à les endiguer, soient prises ? Rappelons qu’il a fallu une mobilisation pour que le gouvernement maintienne, dans le cadre associatif et non privé, le fonctionnement du numéro vert 3919.
Combien faudra-t-il de jeunes filles contraintes à débuter leur sexualité sur les modèles pornographiques avant que des mesures soient prises, en termes d’éducation mais aussi d’accès aux sites concernés ?
Ce rapport, comme la foisonnante littérature sur ce sujet, doit absolument obliger les pouvoirs publics à prendre enfin leurs responsabilités pour que les femmes n’aient plus à adopter au quotidien « des stratégies de contournement ou d’anticipation des manifestations sexistes, dès le plus jeune âge et tout au long de la vie. »
La question se pose de façon pressante au sein du système éducatif : reproduction des stéréotypes, éducation et orientation genrées, absence de formation des personnels, réglementation (dont éducation à la sexualité ou référent à l’égalité) non respectée… Dès lors, l’intervention syndicale pour exiger la prise en compte de ces thématiques, de l’école maternelle à l’université, semble déterminante.
Parce qu’il faut mettre un terme, de façon urgente, aux conséquences annoncées de façon implicite par cette maxime « Le sexisme, on ne sait pas toujours comment ça commence, mais on sait comment ça se termine… »
https://onsaitcommentcasetermine.fr/

(1) Lire l’entretien de Marie Fuentes, membre de l’organisation #noustoutes, dans le n° 43 de Regards Croisés

Michèle OLIVIER et Hélène GISPERT du chantier FSP