Published On: 16 septembre 2020Categories: Editoriaux de la lettre électronique

Soutenir Anthony Smith et la nécessaire indépendance des inspecteurs du travail

Les mesures administratives prises contre Anthony Smith ont largement mobilisé l’opinion tant il semblait aberrant qu’on puisse infliger une sanction disciplinaire à un agent qui faisait son travail avec exigence. Rappelons qu’Anthony Smith avait, pour seule faute, exigé qu’on protégeât les employés d’une association d’aide à domicile contre le risque épidémique.

Sans doute l’a-t-il fait à une époque où la fourniture de masques n’était pas une obligation pour l’employeur mais on reconnaîtra aujourd’hui qu’il y a quelque paradoxe à en faire l’objet d’une sanction puisque, quelques mois plus tard, sans que la nature du risque se soit modifiée, c’est désormais une contrainte s’imposant à tous.

Nul ne peut contester que la mission d’un fonctionnaire doive s’inscrire dans une logique réglementaire. Le nier reviendrait à une vision ultra-libérale de la fonction publique et la mettrait à la merci des intérêts particuliers. Mais affirmer cette obligation ne peut en aucun cas se confondre avec une exigence d’obéissance aveugle et soumise.

Au lecteur attentif de la loi du 13 juillet 1983 qui définit les droits et les obligations des fonctionnaires, il n’échappe pas que le terme d’obéissance n’est jamais utilisé pour caractériser les obligations de l’agent des services publics.

Et nul ne peut faire comme s’il s’agissait seulement d’un hasard lexical car cette volonté est un choix.

Le choix, tout d’abord, lors du statut de 1946, d’une opposition radicale à l’obéissance exigée par Vichy dans le statut de 1941 qui entachait désormais l’administration des pires lâchetés.

Le choix, ensuite, qui s’inscrit dans une lente évolution qui finit par affirmer clairement, par le statut général de 1983, la nécessité d’une dialectique entre les droits et les obligations du fonctionnaire, exigence incontournable d’une démocratie. Certes, le fonctionnaire doit se conformer aux instructions mais le même article 28 qui l’affirme a tout d’abord énoncé le principe de sa responsabilité.

Redisons-le pour qu’aucune ambiguïté ne puisse subsister : les obligations du fonctionnaire sont une nécessité pour garantir les enjeux d’intérêt général de l’action publique. Mais en démocratie, ils ne peuvent s’entendre que dans la recherche continue d’une nécessaire indépendance.

Comment, au sein d’une démocratie, pourrait-on penser la mission d’un inspecteur du travail si aucune indépendance ne lui était garantie alors que les risques sont nombreux de connivences entre les intérêts des employeurs et ceux des responsables politiques ?

Rappelons qu’Anthony Smith n’a pas agi comme un frondeur inconscient. Quelques semaines plus tôt, le 3 avril, un jugement en référé avait donné raison à une inspectrice du travail de Lille qui avait eu la même exigence pour un employeur. Anthony Smith a fait le choix d’une protection effective des salariés et pour cela il devait passer outre les consignes parfois contradictoires d’un ministère peinant à suivre les valses hésitations gouvernementales. Muriel Pénicaut, alors ministre du Travail, oscillait elle-même au gré de ses stratégies de communication, entre l’affirmation d’une nécessaire protection des salariés et des appels à maintenir à tout prix l’activité.

D’aucuns objecteront une lecture littérale de l’obligation de conformité et affirmeront que le principe même de mise à disposition de l’administration, affirmé par l’article 20 de la Constitution, justifie qu’on puisse penser la relation hiérarchique comme un lien d’obéissance. Mais cette logique voudrait que l’inspecteur du travail doive se soumettre quand bien même l’ordre donné irait à l’encontre de la protection du salarié.
Ceux qui défendent cela ne sont pas seulement des autoritaristes : ils menacent les valeurs démocratiques qui fondent les droits des salariés et garantissent leur protection. Et ce ne sont pas seulement des militants syndicaux qui revendiquent cette indépendance, ce sont aussi les principes même des conventions internationales [1] qui affirment explicitement que la protection des salariés nécessite l’indépendance des inspecteurs.

Voilà pourquoi, par attachement à ces principes nécessaires à la démocratie, nous avons massivement soutenu Anthony Smith et continuerons à le soutenir.

[1Par exemple, l’article 6 de la Convention internationale sur l’inspection du travail de 1947 signée sous l’égide de l’Organisation internationale du Travail

Éditorial de la lettre de l’Institut de recherches de la FSU du 16 septembre 2020
Paul Devin, président de l’IR.FSU