Les 16 et 17 mars se sont tenues salle Olympe de Gouges, à Paris, les Journées intersyndicales Femmes à l’initiative de la CGT, de la FSU et de l’union syndicale Solidaires. Depuis 26 ans, ces deux journées de formation intersyndicale donnent la parole à des chercheuses et des associations sur des thèmes relatifs aux droits des femmes et ambitionnent de permettre à l’ensemble des participantes de réfléchir, échanger et s’armer pour porter ces questions dans leurs organisations syndicales respectives et au-delà.

Cette année, quatre thèmes étaient au programme : Le genre du capital ; Femmes, paix, désarmement et résistances ; Femmes et santé au travail et dans le syndicalisme ; Femmes et télétravail.
Retour d’une participante.

En ce matin du 16 mars où le projet de réforme des retraites passe à l’Assemblée avec l’incertitude sur un recours au 49.3 ou pas, beaucoup, beaucoup de femmes, de tout âge, de tout style, de tout le pays qui se saluent, s’embrassent, se retrouvent, discutent, plaisantent, rient, boivent un café avant d’aller prendre place dans la grande salle. Pour moi, qui assiste à mes premières Journées, j’en ai rarement vu autant à la fois, à part dans les manifs du 8 mars. Je demande combien : 400 inscrites me dit-on. Et parmi elles, quelques hommes. Mais à la tribune se succèderont uniquement des femmes, pour intervenir ou mener les débats, toutes disant leur plaisir à être là, entre femmes et militantes syndicalistes.
La matinée commence par un « femmage » à Margaret Maruani, « sociologue de profession, féministe par conviction », spécialiste du genre au travail[1], prononcé par Rachel Silvera. Puis c’est la première table ronde sur le thème le genre du capital. Quatre invitées pour trois interventions : Christiane Marty, chercheuse, sur inégalités de retraites Femmes-Hommes ; Sibylle Gollac et Céline Bessière, sociologues, pour leur livre « Le Genre du capital. Comment la famille reproduit les inégalités » ; Maud Simonet, sociologue, sur le travail gratuit.
Les deux premiers exposés sont, chacun, une mine de données précises sur la mesure d’inégalités entre les femmes et les hommes ainsi que d’analyses sur leur origine et leur nature patriarcale systémique, les intervenantes présentant également des éléments clés qui pourraient être facteurs d’émancipation. Dans le troisième exposé, Maud Simonet revient d’abord sur ses recherches sur le « hors travail », le travail non reconnu comme tel, qu’elle aborde aujourd’hui avec les analyses féministes du travail, dont celle du travail gratuit domestique développées dans les années 1970, même si elle-même s’intéresse à d’autres formes que  celles du travail domestique[2]. J’ai notamment retenu l’idée que le « travail gratuit » n’est pas juste un travail qui ne serait pas rémunéré, il correspond à une opération politique de déni du travail, d’invisibilisation du travail  que ce soit au « nom de l’amour » ou, comme « hope labor »  au nom d’une étape pour une future carrière. Elle conclut sur la part très (trop) minime de cette question dans les luttes syndicales.
À la suite des exposés, vient une longue séquence d’échanges où de nombreuses camarades interviennent à partir de cas concrets d’inégalités sur les lieux de travail ou dans des situations personnelles, reprenant, discutant, interrogeant des éléments donnés par les chercheuses.
Les vidéos des interventions comme du débat de cette matinée sont disponibles avec les liens ci-dessous :
16 mars – le genre du capital (1)
https://www.youtube.com/watch?v=WmJm01Pca0M&ab_channel=UnionsyndicaleSolidaires
16 mars – le genre du capital (2)
https://www.youtube.com/watch?v=r-7MLgqSjYo&ab_channel=UnionsyndicaleSolidaires
La séance de l’après midi s’ouvre avec la nouvelle du 49.3. On décide de tenir la séance mais de partir tout de suite après au rassemblement à la Concorde. Quatre oratrices sont prévues sur le thème  Femmes, paix, désarmement et résistances : Mathilde Larrère, historienne ; Sarah Marcha, membre du Centre de Jineolojî, mouvement des femmes Kurdes ; Anastasia Ryabchuk, professeure associée de sociologie à l’université de Kiev ; Jules Falquet, sociologue, qui a choisi d’aller directement à la Concorde et n’est pas présente.

Mathilde Larrère intervient sur la volonté des femmes dans l’histoire, depuis la Révolution française, de combattre elles aussi avec des armes ; une volonté tout à la fois féministe et pacifiste  posant les questions d’égalité citoyenne et d’émancipation[3]. Anastasia Ryabchuk resitue les questions de pacifisme, de paix, de résistance, entre autre en ce qui concerne les femmes, en fonction d’où on parle, c’est à dire du pays agressé ou pas. Sarah Marcha revient sur l’histoire du Kurdistan et des femmes kurdes, résistantes, sur le mouvement de libération du Kurdistan dans les années 1970 et son projet révolutionnaire dont les femmes furent fondatrices, le mouvement des femmes devenant un mouvement autonome, armé, portant une voix/voie spécifique par rapport à toutes les dominations[4].
Pas de discussion donc après les exposés mais direction Place de la Concorde, riches de tous ces exposés, de tous ces échanges, de toute cette force de travail et de réflexion de la journée.

Le lendemain vendredi, je n’ai pu assister à la journée mais ai écouté en visio la matinée.
Celle-ci a été consacrée à une table ronde sur Femmes et santé au travail et dans le syndicalisme. On peut retrouver la première partie de la matinée ici :
https://www.youtube.com/watch?v=u39mbVNILWA&ab_channel=UnionsyndicaleSolidaires
Les intervenantes ont été : Lucie Daniel, experte plaidoyer pour l’association Equipop, une ONG pour le droit et la santé des femmes et des filles dans le monde[5] ; Alice Romerio, chercheuse en sciences politiques, sur l’endométriose au travail; Karine Babule, chargée de mission à l’ANACT, Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail[6] ; Nelly Vorillion (CGT) avec un témoignage sur une avancée majeure, la reconnaissance en accident de travail de la levée de la mémoire traumatique.
L’après midi, consacrée à Femmes et télétravail, étaient annoncées Sophie Binet (CGT) pour l’enquête « Le télétravail, c’est oui mais … » ; Ludivine Debacq (FSU) sur le télétravail dans la fonction publique ; Karine Babule (ANACT).

Je connaissais ces journées grâce au livre Toutes à y gagner qui donnait à voir la richesse – et l’actualité – des réflexions qui s’y sont tenues depuis 1997, mais les vivre « en vrai » a été une expérience unique. Porté par cette intelligence collective, par l’expérience et la détermination d’agir dans et avec nos syndicats, le combat syndical pour l’émancipation des femmes y puise une force singulière. Merci aux organisatrices de la CGT, la FSU et Solidaires.

Hélène Gispert – chantier « Femmes, Savoirs, Pouvoirs ».

[1] Voir l’entretien avec M. Maruani dans la revue Travail Genre et Sociétés, qu’elle a fondée : https://www.cairn.info/revue-travail-genre-et-societes-2021-2-page-5.htm
[2] Voir par exemple l’entretien avec Maud Simonet dans la revue Axelle Magazine, https://www.axellemag.be/maud-simonet-travail-gratuit/. Dans la discussion il a été fait référence au numéro 46 (2021/2) de la revue Travail Genre et Sociétés consacré aux « (Re)configurations du travail domestique » : https://www.cairn.info/revue-travail-genre-et-societes-2021-2.htm
[3] Mathide Larrère signale l’existence du blog Genre et guerre : https://genreguerre.hypotheses.org/
[4] Voir par exemple : https://jineoloji.org/fr
[5] https://equipop.org/
[6] https://www.anact.fr/