Une nouvelle étape de transformation de l’architecture et des modes d’acquisition des diplômes de la formation professionnelle initiale est aujourd’hui en marche.

Vers l’entreprise de formation professionnelle.
Objectifs annoncés et effets cachés d’une réforme

Francis Vergne, 2008

Une nouvelle étape de transformation de l’architecture et des modes d’acquisition des diplômes de la formation professionnelle initiale est aujourd’hui en marche. Ses aspects les plus spectaculaires concernent la réforme qui vise à supprimer à un rythme soutenu la préparation des Brevet d’études professionnels ( BEP ) au profit d’une généralisation des bacs professionnels en trois ans.

On peut être surpris du relatif silence dans lequel s’effectue une réforme de cette ampleur ( Elle a transformé en quelques mois plus de cinquante pour cent des structures et de la carte des formations en Lycées professionnels. Et l’on peut noter que dans un certain nombre d’académies les transformations effectives dés la rentrée prochaine iront au-delà des objectifs ministériels initialement prévus ). Faut-il voir la marque d’un désintérêt citoyen pour un secteur de l’éducation nationale qui n’accueille guère de filles et fils des élites dirigeantes… ( ni d’ailleurs des filles et fils d’enseignants). Imagine-t-on par exemple qu’une transformation de cette envergure ( dont la suppression de fait d’un diplôme, l’imposition de la mixité des publics dans les classes et la diminution de 25% du temps de formation ) menée à ce rythme ( quelques mois..) serait concevable sans remous au sein des lycées généraux et technologiques ? L’interrogation éducative peut donc se doubler d’une interrogation sociale : pourquoi autant d’indifférence au sort de ces quelques 30 % d’élèves qui au sortir de la classe de troisième de collège s’orientent vers les Lycées professionnels ? Est-il excessif d’émettre l’hypothèse suivante : après tout il s’agit seulement du sort et du destin des filles et fils d’ouvriers et d’employés et de leur reproduction scolaire et sociale. Dans un environnement politique et institutionnel qui a produit et organisé l’invisibilité et ôté toute légitimité à la parole et aux pratiques sociales populaires, la réforme peut rester invisible et inaudible. Pourquoi faire du bruit pour les pauvres ? Paradoxe déstabilisant : si une certaine gauche ne connait plus ces gens là ( sinon sur le mode compassionnel ) le néo libéralisme, lui, sait qu’ils existent, qu’il faut s’en occuper et il s’occupe à les former Et à défaut de le faire bien, il le fait vite et non sans quelque radicalité.

Plusieurs lectures peuvent être faites de la réforme. L’une des plus évidentes et des plus élémentaires la rapportera aux mesures d’économie ainsi réalisées : s’il est possible de former en trois ans au même niveau des élèves jusque là formés en quatre ans ( deux ans pour le BEP et deux ans pour le bac pro ) pourquoi s’en priver ? A terme une simple projection établit qu’ à effectif égal et stabilisé ce sont 25% de moyens ( en postes en particuliers) qui devraient disparaitre.

Menée à la hussarde, sans concertation ni même considération sur ce que l’inspection générale a pu dire de l’expérimentation des bacs pro en trois ans ( Note 1) elle est assurément emblématique de la brutalité intrinsèque du néo libéralisme et du peu de cas qu’il fait des considérations pédagogiques, des besoins des élèves, des conditions dans lesquelles ces derniers peuvent progresser et maîtriser des savoirs généraux, technologiques et professionnels complexes.

Mais en même temps ce n’est là probablement qu’une partie, et pas nécessairement la plus fondamentale, d’une réforme qui se donne volontiers comme exemplaire d’une volonté de rationalisation et de modernisation des diplômes en même temps que d’un fonctionnement plus global et plus intégré de l’entreprise Education nationale. Avec cet éclairage la réforme présente alors des aspects singuliers qui ne s’accordent pas avec un schéma de simple réduction des coûts associée à une baisse de niveau et à un désengagement de l’état central au profit d’autres acteurs privés ( apprentissage ) ou territoriaux ( Région ). Il semble donc utile de revenir sur la cohérence cachée de ces différents aspects en s’interrogeant sur leur sens, leur portée et sur ce qu’ils révèlent des stratégies néo libérales aujourd’hui à l’œuvre.

Par rapport aux préoccupations générales de notre chantier – politiques néo libérales et action syndicale – on peut estimer qu’il y a là un champ privilégié d’observation et d’intervention qui confirme plutôt que le néo libéralisme en matière d’éducation et de formation ne se réduit pas au triptyque : néo malthusianisme, marchandisation, privatisation mais repose pour une bonne part sur un pilotage stratégique qui va donner une place centrale à l’établissement de formation. La comparaison avec la LRU, évoquée lors d’un séminaire précédent peut être faite dans la mesure où l’échelon décisif pour rendre opérationnelles les choses est l’autonomie de l’établissement et la responsabilité donnée à son chef de manager les projets de transformation.

La réforme dans sa dimension générale comme dans son application au niveau de chaque Académie vise en effet à donner un cadre général – à la fois hégémonique et contraignant – qui transformera chaque établissement en gestionnaire avisé de son potentiel de formation assimilable à une plate forme technologique et professionnelle infiniment mobilisable et modulable. Tout se passe en somme comme s’il s’agissait de préparer les conditions d’une future « loi d’autonomie des établissements » qui viendrait relayer et étendre la loi d’autonomie des universités.

Cette visée globalisante et totalisante s’accorde encore avec des philosophies néo libérales qui privilégient la formation tout au long de la vie et la territorialisation régionalisée de la formation. Il s’agit en somme d’imposer une autre rationalité que celle d’un droit universel au savoir et à la qualification professionnelle. Que ce nouveau paradigme soit par bien des aspects assimilable, comme on a pu le dire en d’autres temps du taylorisme, à une « folie rationnelle » ne doit pas empêcher de le prendre au sérieux et de le décrypter pour mieux le combattre.

Une transformation dans l’architecture et les modalités d’acquisition qui veut en finir avec la double finalité des diplômes professionnels.

La généralisation des bacs professionnels en trois ans confirme la place désormais centrale de ce diplôme qui devient encore plus la norme pour l’ensemble des jeunes qui entrent en lycée professionnel ( et à terme en apprentissage puisque ce même schéma devrait s’appliquer ) et sur son alignement en terme de durée sur les bacs généraux et technologiques. Les pouvoirs publics ne se privent pas de parler ici d’alignement par le haut et de nouvelle dynamique donnée à ce diplôme : sur un parcours plus ramassé et en supprimant des redondances supposées entre dernière année de BEP et première année de Bac pro, le pari est fait d’un cursus qui sera mieux à même de retenir les jeunes en évitant les fuites et les décrochages dans une scolarité de BEP investie de façon très inégale.

Un autre aspect moins visible de la réforme est la remise dans le circuit des diplômes préparés des CAP présentés comme plus efficients sur le plan professionnel que les BEP. Ces derniers – diplômes dotés d’une double finalité d’insertion et de poursuite d’étude – semblent avoir vécu et leur maintien formel relève de concessions de pure forme ( dans la mesure où il seront coupés d’un mode de préparation adapté et où leur finalité sera illisible et apparaîtra plus comme une survivance que comme un point d’appui ) La réimplantation des CAP prévue pour un contingent d’élèves estimé à environs 15% du public des lycées professionnels qui ne parviendraient pas à s’inscrire dans le cadre des bacs professionnels en trois ans témoigne d’une autre logique et de la prise en compte d’une complémentarité certes hiérarchisée mais à sa façon assez réaliste des objectifs de formation professionnelle des ouvriers et employés du post fordisme.

Cette deuxième vie d’un diplôme présenté il y a quelques années encore comme obsolète peut interroger sur le mélange d’archaïsme et de nouveauté dont procède le néo libéralisme. Il reste qu’avec ce dispositif de rattrapage ces CAP désormais plus nombreux et plus variés répondent bien souvent à une demande de la part des jeunes, des établissements voire des employeurs. Si l’attention sur leur contenu et parfois leur finalité ( certains d’entre eux renvoient à des professionnalités marquées au coin de la précarité et camouflent mal derrière un vocabulaire prétentieux, des réalités plus contestables ) leur intérêt immédiat ne fait guère de doute au moins comme recours sinon comme tremplin professionnel : étapes pour une insertion professionnelle, ils structurent aussi une division et une reproduction sociale et technique du travail fortement inégale et hiérarchisée. Mais le phénomène n’est ni nouveau, ni original.

Au total le système que dessine la réforme en terme d’architecture des diplômes va donc dans le sens d’une accentuation de la professionalisation. La disparition programmée des BEP va de pair avec l’abandon de la double finalité de tels diplômes qui conduisaient à la fois à une insertion professionnelle ( réelle dans certains cas, problématiques dans d’autres ) et à une poursuite d’étude diversifiée ( mention complémentaire, bac professionnel, premières d’adaptation en vue d’un bac technologique). Cette volonté de normalisation professionnelle n’en restera probablement pas là dans la mesure où le prochain diplôme qui risque de se trouver déstabilisé sera vraisemblablement le bac technologique ( Il est déjà annoncé que certains d’entre eux comme ceux du secteur de l’Hôtellerie ont vocation à être remplacés par des bacs professionnels ) Entre intégration à des bacs généraux existants ou refondus et absorption par les bacs professionnels le bac technologique n’aurait plus de place spécifique ni de raison d’être. La rationalisation néo-libérale s’effectuerait alors au prix d’un appauvrissement des possibles. Le néo libéralisme ne se désintéresse pas ici du sort des formés. Mais il les maintient sur une voie strictement professionnelle et close autour d’une spécialité ( ce qui n’était pas le cas des champs professionnels plus large des BEP ou des bacs technologiques ) au risque de créer des problèmes du point de vue de l’adaptation aux évolutions technologiques et organisationnelles à venir et à leur corollaire en matière de mobilité professionnelle ou géographique.

Mixage des publics et fonctionnement globalisé.

Un autre aspect de la réforme répond à l’injonction de « mixage des publics » qui s’accorde particulièrement avec la généralisation des bacs professionnels en trois ans. Ce mixage répond à plusieurs impératifs. Le premier est celui d’une assez classique économie d’échelle. Les capacités d’accueil de chaque bac étant la plupart du temps calibrées pour 30 élèves tout public sera bienvenu pour remplir la section.

Mais il y a plus. Dans les schémas régionaux ou académiques la pression se fait extrêmement forte depuis quelques années pour que chaque établissement ouvre des unités de formation en apprentissage ( rattachables dans la plupart des cas à un Centre de formation d’apprentis de l’Éducation nationale, dit « hors les murs » et fonctionnant comme lieu virtuel de coordination des Unités de formation en apprentissage en cohérence avec le Schéma régional de l’apprentissage de la région ). Il est à noter que ce lien – établissement- CFA Éducation nationale – Région – n’est pas de pure forme : des seuils de rentabilité ( en terme de nombre minimal d’élèves en apprentissage) sont fixés en dessous desquels la section n’ouvre pas.

Ces dispositions participent donc elles aussi de plusieurs objectifs : elles sont présentées parfois comme un moyen de « sauver » des sections à faible effectif ou encore de s’accorder mieux avec des branches professionnelles demandeuses d’apprentissage et ne trouvant pas toujours dans les CFA des chambres consulaires une réponse adaptée à leur demande. Placées sous le signe du parrainage école entreprise ces mesures sont également présentées comme une façon de pouvoir à tous les niveaux répondre aux demandes d’alternance d’une partie des élèves sur la base du calcul immédiat qui est le leur : à diplôme égal moins de cours et un peu plus de revenus.

Pour aller plus avant dans cette diversification, des statuts mixtes sont à l’étude. Ainsi en région auvergne le schéma de la réforme s’accompagne pour les deuxième année de bac pro trois ans d’un possible statut de « technicien junior » qui verrait moyennant l’engagement à faire en entreprise un stage d’une durée significative hors temps scolaire une rémunération à l’année du temps de stage à hauteur de 30% du SMIC. (2)

De tels projets débouchent enfin sur une proposition de mixage systématique des publics en troisième année : apprentis, élèves sous statut scolaire, stagiaires de la formation continue. Il faut noter que le problème de la progression pédagogique pour chaque jeune et pour le groupe classe n’est quasiment pas abordé, sinon au travers d’expédients techniques. ( La fourniture de photocopies est l’un des plus répandu ). Ces problèmes ne sont pourtant pas minces : le temps de formation pourrait ainsi selon les situations varier du simple au double. Il reste alors une piste, plus virtuelle que réelle mais dont la charge idéologique mérite attention : faire en sorte que le temps passé en entreprise et les activités effectuées soient directement sources de savoir et entrent en concordance directe avec la partie manquante du programme. Des montages sophistiqués associant tuteurs ou maître de stage et enseignants sont aujourd’hui projetés sans véritablement convaincre.

Du paradigme des plates-formes.

De tout cela retenons surtout la figure de l’élève flexible anticipant sur le travailleur flexible qu’il est incité à devenir. Mais le prix à payer n’est alors pas véritablement évoqué : celui d’une impossibilité de fait de tenir sinon de façon purement formelle l’ensemble des objectifs ( on pense en particulier à la maîtrise déjà limite de la langue et de l’expression.) qui structurent l’enseignement professionnel initial en France depuis plusieurs décennies : l’articulation dans un même lieu et sous un même statut d’un enseignement général, technologique et professionnel ou encore pour reprendre les mots d’Henri Wallon la triple ambition de former l’homme, le travailleur et le citoyen.

Vont donc de pair dans la réforme mixage des publics, brouillage des statuts et incitation forte pour l’établissement de formation à fonctionner pour une part sur la base de ses ressources propres et cela en deux sens : l’usage globalisé des ressources humaines ( personnels ) et la recherche de revenus supplémentaires acquis en offrant des prestations diversifiées sur le marché de la formation professionnelle.

Cette évolution participe à l’évidence d’une mise en concurrence inter établissement et intra établissements. La survie et le dynamisme d’un établissement passent en effet désormais par sa capacité à gagner des parts de marché – apprentissage ou formation continue – par rapport au lycée professionnel voisin et néanmoins potentiellement concurrent. A l’intérieur même des établissements, voire dans le service de chaque enseignant, les statuts et les salaires varieront en fonction des investissements hors formation initiale. On peut en imaginer les effets dévastateurs lorsque ce mode de fonctionnement aura dépassé le stade des essais.

Avec autant de cynisme que de talent, le romancier Michel Houellebecq proposait dans Plate forme un modèle de traitement offshore du corps et du sexe marchandisés à l’échelle planétaire. La multiplication de « plates-formes » répondant à une rationalité et une rentabilité touristico-érotiques globales était une pièce maîtresse de ce dispositif.

Il n’est pas certain que les inspirateurs de la réforme actuelle soient de fidèles lecteurs d’Houellebecq. La similitude de vocabulaire est pourtant troublante, tant la multiplication de « plate formes » en tous genres – professionnelle, technologique, d’insertion – est emblématique de la langue et de la pensée des réformateurs néolibéraux. La désinstitutionalisation de l’école est portée par une vision utilitariste mais globale des moyens : mutualisation matérielle, financière et humaine, utilisation de ces variables de façon souples et intégrées à toutes les fins possibles. Plus, une vision techniciste plaçant l’ensemble des prestations et des activités de formation dans le cadre d’une « ingénierie de la formation » généralisée est censée donner une efficacité et une fluidité de fonctionnement optimales au système. Cahiers des charges, chartes et démarche qualité, pilotage par objectifs, évaluations croisées avec les normes de la Llolf complèteront la révolution manageriale et pédagogique amorcée, tout en abolissant un peu plus les frontières entre l’intérieur et l’extérieur de l’école.

Y-a-t-il un pilote et sait-il où il va ?

Le néo libéralisme procéderait donc ici par imposition d’un modèle. Est laissé cependant en suspens le problème suivant : in fine, qui pilote et en fonction de quels objectifs ? La question n’est pas mince. La latitude laissée à chaque établissement de devenir acteur de sa reforme et de faire des propositions utilisant au mieux ses ressources, renforce la propension à proposer une carte des formations centrée sur quelques pôles d’excellence professionnels en déclinant une gamme de diplômes et de modalités de formation limités à une branche professionnelle ; le temps des spécialisations fonctionnelles et d’une territorialisation des spécialités serait donc venu. Les limites de ce modèle est qu’il s’accorde assez peu avec une exigence de formation polyvalente qui combine à la fois qualité et proximité. En deçà d’une certaine taille – et le problème est crucial en milieu rural – les affichages de spécialité n’ont en effet pas grand sens.

Dans l’idéal cette autonomisation de l’action des établissements pourrait être régulée par des décisions d’instances porteuses d’une vision plus large et davantage préoccupée de l’intérêt général. Mais ces instances sont aujourd’hui fragilisées ou contournées. Elles le sont au niveau des personnels des établissements dont l’implication dans l’élaboration des projets d’établissement a été battue en brèche par une réforme menée de ce point de vue là à contre temps. Quelques semaines à peine en effet après avoir demandé aux personnels de valider – courant octobre 2007- un premier projet d’établissement, des directives venues d’en haut ont modifié du tout au tout ce projet en fonction des impératifs de la réforme avec comme seule consigne donnée aux chefs d’établissements non pas de consulter à nouveau mais d’informer simplement les personnels de ces changements d’importance. Il n’est pas exagéré de dire qu’en quelques semaines les trois quarts des sections ont été transformées sans concertation véritable.

Les instances paritaires – de plus en plus caricaturales et réduites à des simples chambres d’enregistrement – n’auront pas été mieux considérées. Informées lorsque tout aura été bouclé, même les organisations syndicales signataires d’un protocole national d’accord n’auront guère eu leur mot à dire sur le fond.

On aurait pu croire dans un contexte d’implication croissante des régions dans le pilotage de la formation professionnelle sous toutes ses formes, que l’instance régionale pourrait jouer un rôle déterminant. Il n’en a rien été. Les élus comme les services opérationnels des régions et comme les organismes de concertation territoriale ( qu’il s’agisse des COTEF dans les bassins d’emploi, des CCREFP ou même des CESR, réduits à émettre des vœux et des protestations de pure forme ) n’auront eu leur mot à dire, dans un domaine qui touche pourtant étroitement au maillage de la formation sur les territoires et à l’écoute des acteurs locaux en matière de besoins exprimés de formation. Il faut probablement s’interroger sur la faillite paradoxale d’un acteur régional assez unanimement présenté comme essentiel en matière d’élaboration du Plan régional de développement des formations ( PRDF). Loin d’avoir un rôle prescriptif, l’échelon régional n’aura fait que suivre et entériner a postériori donnant l’image d’un véritable maillon faible.

Il est notable enfin que cette politique de modernisation et de rationalisation néo libérale a été menée en totale déconnection avec les instances de réflexion nationales censées réguler l’évolution des diplômes sur la base d’une concertation tri partite – organisation d’employeurs, organisations syndicales, Etat – que sont les Commissions consultatives paritaires. Certaines d’entre elles, et non des moindres, avaient en projet des préconisations assez largement divergentes. ( C’est le cas en particulier pour la filière du tertiaire ). Significatif de ce mode d’imposition de la réforme est la répartie du représentant du rectorat de ma région lorsqu’il fut interrogé sur cette dissonance : « Rappelez moi ce qui signifie de deuxième « C » de CPC, consultatif, je crois ». On ne saurait mieux dire.

Un tel pilotage par des segments fort étroits de la technocratie ministérielle ne peut donc se prévaloir de la prise en compte de l’intérêt général. En extériorité par rapport aux préoccupations sociales et territoriales , tout porte à penser qu’il produira comme effet pervers des déserts territoriaux ou professionnels dans le maillage des formations. L’habillage idéologique qui prévaut est avant tout représentatif de l’abstraction néo libérale et de ses utopies réformatrices. Il reste que la réforme s’impose pourtant sans légitimité mais avec une efficacité redoutable.

Du coté des personnels et des jeunes : entre défiance et consentement résigné.

Quel est son effet sur les personnels et les jeunes et son impact sur la construction des rapports de force et l’action syndicale ? Si les premières réactions ont été plutôt négatives condamnant au moins autant l’absence de concertation que le fond de la réforme. ( un parallèle peut être fait avec la loi LRU ) assez rapidement ont été retrouvées les lignes de partage entre organisations syndicales qui révèlent des positionnements différents :
— celui de l’acceptation globale de la réforme sous réserve de préserver une espace même tardif de concertation et d’assouplir le calendrier de sa réalisation de façon à ne pas heurter de front les équipes d’établissements qui y étaient les plus hostiles. Il se double alors d’une volonté d’aménager à la marge le dispositif et d’ouvrir la perspective de création de CAP supplémentaires.
— une logique de refus au nom du maintien de l’existant..
— la tentative au moins embryonnaire de relier dénonciation d’une réforme menée contre l’intérêt des jeunes et des personnels et propositions alternatives. Cela correspond au positionnement général des syndicats de la FSU intervenant dans ce secteur.

Dans le même temps on a pu assister en Novembre 2007 à des mobilisations sporadiques des lycéens de lycée professionnel mais ces dernières n’ont pas réussi à s’installer dans la durée, à se donner un objectif commun et à réaliser la jonction avec les derniers feux des mobilisations étudiantes, dans un climat social pourtant tendu et marqué par la question de la réforme des régimes spéciaux. Occasion manquée de faire converger les luttes ? Le problème est probablement plus complexe.

En témoignent les revirements rapides que l’on a pu parfois observer au sein des établissements. La réforme – dont les conséquences négatives en terme de poste et d’emploi sont clairement perçues – n’est pas approuvée en tant que telle. Mais elle est acceptée sur la base du raisonnement suivant : dés lors qu’elle est inéluctable et que la seule marge de négociation réside dans son éventuel report d’un an, autant faire les choses tout de suite pour que la référence bac pro soit dés maintenant celle de l’établissement qui va se positionner comme allant de l’avant. Ne pas le faire c’est courir le risque d’apparaître comme retardataire et laisser l’avantage aux établissements qui eux ferait ce choix tout de suite. Dans un contexte où tout se joue à budget constant voire à budget réduit, il s’agit de prendre aujourd’hui ce qui peut l’être, les mieux pourvus étant alors ceux qui jouent le plus franchement le jeu de la réforme. L’effet concurrence marqué la volonté d’engranger au plus vite la création et la répartition des nouveaux bacs professionnels joue donc à plein. Il ne traduit pas une approbation euphorique de ce principe mais réfracte la crainte d’être laissé sur le bord du chemin, si l’on ne s’inscrit pas tout de suite dans la dynamique de la modernisation imposée.

Traits communs et spécificités d’une réforme.

Quels enseignements tirer de la mise en œuvre de cette nouvelle étape de transformation de la formation professionnelle ou pour reprendre les termes du début de notre propos : de quoi la réforme de la formation professionnelle est-elle le nom ?

Il existe des traits communs avec d’autres réformes faites ou engagées parallèlement. Ici comme ailleurs, dans la rhétorique et l’injonction modernisatrice, réforme et management vont de concert. La transformation des diplômes va de pair avec l’imposition de nouveaux modes de fonctionnement. Les deux discours et les deux pratiques s’épaulent et se complètent :
— il faut réformer l’école ( comme la plupart des institutions en particulier toutes celles qui se sont mises en place puis consolidées à la Libération, protection sociale, retraite, code du travail, etc… ) pour mieux l’adapter au monde économique moderne, convertir les secteurs et les institutions qui retardent sur le mouvement général de l’économie de marché généralisé que l’on désigne sous le mot valise de mondialisation et faire évoluer les bases sur lesquelles l’école républicaine, le service public d’éducation et le « modèle scolaire français » s’est construit.
— il convient en même temps de rechercher un supplément d’efficacité dans l’organisation et le fonctionnement de l’école pour atteindre le niveau de productivité des entreprises et des organisations les plus performantes. D’où l ’application d’une culture gestionnaire avec la thématique de l’évaluation, de l’imposition d’objectifs clairs et mesurables, pilotage stratégique, du contrôle du changement, etc.

Sous la tenue de camouflage de la neutralité politique et technique rien n’est dit des buts réellement poursuivis : une mutation profonde non seulement de l’organisation de l’école mais de ses valeurs et ses buts, des contenus d’enseignement. Le dispositif est à la fois circulaire et tautologique : il faut moderniser pour être plus efficace et il faut être plus efficace pour moderniser.

Se trouve donc à l’œuvre dans la réforme de la formation professionnelle initiale une assez peu contestable intégration des avancées néo libérales au champ interne à la formation ( prédominance des principes de management, globalisation et mutualisation des moyens, effacement de l’institution scolaire au profit de l’entreprise de formation assurant des prestations variées en direction de publics et de clients, etc..). Encore faut-il pointer qu’il ne s’agit pas essentiellement de réduire ou de contourner la formation professionnelle initiale au profit d’une privatisation ou d’une marchandisation sans rivage. Il s’agit plutôt de la changer de l’intérieur autant que de l’extérieur avec l’action déterminante de l’Etat néo libéral.

Nous pouvons évoquer ici trois indices supplémentaires qui confortent ce jugement et permettent de mieux saisir la singularité de cette réforme. Remarquons d’abord que si l’on a pu craindre un temps que l’apprentissage vienne battre en brèche la formation professionnelle initiale sous la forme scolaire dominante qui s’était imposée après 1945, avec le développement des Centres de formation d’apprentis privés pilotés pour l’essentiel pas les chambres consulaires, ce n’est pas ce scénario qui s’est pour l’instant réalisé. On constate en effet aujourd’hui que si l’apprentissage au plan des effectifs concernés et de l’étendue et de la diversité des formations offertes s’étend, cela est lié, pour la part la plus importante au développement de CFA de l’éducation nationale ou d’unités de formation et d’apprentissage mis en place par les lycées professionnels publics avec la bénédiction des régions et du ministère de l’éducation nationale.

La deuxième observation touche au développement d’une formation professionnelle continue de plus en plus placée sous l’égide de la formation tout au long de la vie. Comme pour l’apprentissage coexistent en fait un secteur privé où prolifèrent de multiples entreprises de formations continue sur des segments de formation assez spécialisés pour des publics souvent spécifiques et un secteur public qui tend de plus en plus à fonctionner, à construire son offre de formation et à vendre sa formation sur les critères globalement identiques à ceux du privé. Les Gréta de l’Education nationale qui ont bien souvent pour support technologique voire logistique les lycées professionnels illustrent cette tendance. La formation continue – de fait marchande- s’invite et s’intègre donc au fonctionnement normal des lycées professionnels tandis qu’en leur sein la frontière entre formation initiale sous statut scolaire et formation continue pour des publics salariés ou demandeur d’emploi tend à se brouiller.

La troisième observation, plus générale, touche à la problématique de la compétence qui est devenue depuis quelques années une référence incontournable pour définir les exigences attendues dans l’adaptation à l’emploi. Mais alors que l’on aurait pu croire que cette référence – même si ce fut quelquefois le cas – s’imposerait contre ou en complément des exigences propres à la formation professionnelle, nous avons plutôt assisté à une pénétration de la logique de la compétence dans la sphère de la formation. La compétence aujourd’hui ne se constitue pas en extériorité et en aval de la formation professionnelle en contournant la problématique de la qualification mais en amont de l’accès à l’emploi et comme une composante interne de la formation.

Dans ce basculement l’accent reste mis sur les capacités d’initiative individuelle et le postulat demeure que dans l’anticipation demandée d’une adaptation à la restructuration permanente des postes de travail, ce sont moins les savoirs et les savoirs faire qui comptent que les « savoir être » et les comportements d’innovation, de résolution de problèmes imprévus. Mais ce basculement est intégré à une problématique de la formation qui entérine le déplacement du cognitif (savoir et savoir faire acquis) vers le comportemental. Sur le support technique et basique de la qualification se greffe l’acquisition de « qualités » aux contours incertains : capacité d’adaptation, polyvalence, flexibilité, aptitude à communiquer et à travailler en équipe, mobilité, esprit d’entreprise, etc…

Cette déstabilisation de l’intérieur de la formation ne va pas sans générer difficultés et interrogations. A quoi forme-t-on et comment l’évalue t-on ? S’agit-il d’un plus par rapport à la qualification, d’autre chose de totalement différent, voire du contraire ? Que valent des référentiels de compétences qui sont soit très généraux et passe partout soit renvoyés à des situations particulières ? La récriture des diplômes et de ce qui en est attendu débouche sur des résultats souvent décevants et peu opératoires.

Essai de mise en perspective.
Une crise historique de la formation professionnelle.

Ces évolutions convergentes confirment à nos yeux la rupture historique avec le processus assez consensuel qui s’était mis en place à la libération et qui avait conduit à ce que pour l’essentiel la formation professionnelle se fasse au sein de structures spécifiques relevant de l’EN, l’apprentissage se cantonnant surtout à quelques métiers ou secteurs (métiers de bouche, artisanat, bâtiment..) pour des niveaux de qualification modeste.

Gilles Moreau ( 2003 et 2004 ) a évoqué à ce propos « la défaite d’un projet émancipateur » qui voulait en élargissant les finalités de l’enseignement professionnel former tout à la fois « l’homme, le travailleur et le citoyen ». Ce « Ce retour de l’idée « professionnaliste , note Gille Moreau, prépare le terrain à une nouvelle conception de la formation professionnelle des jeunes, définie quasi exclusivement comme insertion » qui témoigne d’une remise en cause profonde du sens du diplôme, dont l’efficacité ne doit désormais plus être appréciée qu’à l’aune de l’accès à l’emploi, plutôt qu’à son contenu émancipateur. « Cette pensée « insertionnaliste », poursuit Gille Moreau, s’inscrit dans une perspective plus large de disqualification des formations professionnelles initiales au profit du seul accès à l’emploi, ou, à défaut, à une activité occupationnelle ».

Nous pouvons assurément souscrire à ce jugement. Par contre on peut interroger la forme particulière que prend cette rupture et essayer de mieux comprendre de quoi est faite une nouvelle logique qui est moins celle de la privatisation de la formation professionnelle que son remodelage sous l’égide d’un état libéral et qui vise plus à l’imposition d’une logique marchande globale qu’à la marchandisation des différents segments de la formation.

Plusieurs enjeux s’entrecroisent ici. Enjeux économiques assurément au regard des profits qu’elle peut générer pour les multiples organismes de formation mais aussi enjeux idéologiques en raison du formatage recherché de la force de travail. Enjeux sociaux et politiques également en raison à la fois de la proximité avec l’entreprise promue au rang de modèle institutionnel tandis que le désengagement de l’état dans le domaine éducatif va de pair avec une volonté délibérée de faire fonctionner les appareils de formation comme des entreprises.

Le néo libéralisme tente d’intégrer dans la formation professionnelle ces données dans un ensemble doté d’une apparente cohésion interne. Mais cet ensemble paraît n’avoir guère de prise sur la désynchronisation formation, emploi, travail, métiers, qui est l’un des traits dominants de la période que nous traversons. Ce cours néo libéral n’apporte également aucune réponse à la déstabilisation des identités professionnelles qui ne se caractérisent désormais ni par des variables techniques stables et ni par la reconnaisances sociale d’une place définie et par avance lisible. Ce dispositif relaie assurément l’offensive de l’entreprise sur le double thème de l’éloignement de l’école des réalités de du caractère formateur de l’entreprise. Il participe également du déplacement sur ce qui est considéré comme essentiel et accroît la pression utilitariste sur la formation augmentée par la peur du chômage et de l’exclusion. Mais fondamentalement, il ne résout rien. Face aux effets sociaux et scolaires de la crise de la formation professionnelle nous assistons à une fuite en avant.

Les schémas anciens d’organisation et d’usage des diplômes et des qualifications qui apparaissent aujourd’hui comme caducs reposaient sur l’idée d’une correspondance garantie et collective entre niveau de formation acquis pour l’essentiel dans le cadre d’une formation professionnelle scolarisée et validée par un diplôme national reconnu comme tel dans toutes les branches sur tout le territoire et une place déterminée dans la vie professionnelle.

Ces schémas ont éclaté sous la pression de plusieurs phénomènes :
— prolifération des titres scolaires et absence de correspondance entre qualification des formés et qualification du travail, distortion entre structure des cohortes qui sortent de formation et structure de l’emploi. ( avec un débat sur la question de savoir si la qualification du travail est plus faible que ce que l’on entend dire parfois ou si cette qualification est une qualification cachée et non reconnue, comme pourrait le laisser penser l’augmentation vertigineuse de l’emploi dit non qualifié tertiaire)
— individualisation des rapports salariaux dans un contexte de chômage et de précarité de masse, d’amoindrissement des possibilités d’organisation et de résistance collective avec parfois, pour certaines fractions de la jeunesse qui entrent au travail, un doute sur le bien fondé d’une régulation collective.
— remise en cause du niveau national de régulation au profit de principes de « gouvernance » fonctionnant à d’autres niveaux : niveau européen d’une part, niveau de branche, niveau local ou régional d’autre part.

On pourrait évoquer aussi le phénomène de segmentation des marchés du travail et de stratégies différenciées selon les employeurs. Si le phénomène n’est pas nouveau il prend une ampleur plus grande dés lors qu’il n’y a plus d’instance politique régulatrices. ( déréglementation ). La tendance lourde est donc plutôt renforcement d’une tendance ségrégative à l’égard des jeunes ( les postes libres sont pourvus à hauteur de 10% par des sortants du système éducatif, thématique de l’expérience demandée, seuls quelques secteurs professionnels embauchent des jeunes et ce sont des secteurs dans lesquels on entre et on sort très vite…)

Mais cet éclatement de l’ancien ne prégure aucune recomposition cohérente du « nouveau ». En sorte que les diplômes et les qualifications sont en décalage permanent par rapport aux pratiques d’accès à l’emploi et d’entrée au travail. (3) On peut sans grand risque pronostiquer que la réforme en cours n’aura guère de prise là dessus : la discordance entre les attentes des formés et leurs perspectives professionnelles va perdurer ainsi que la discordance entre le contenus et les finalités officielles de ces formations d’une part et l’usage et la reconnaissance qui en sont faits dans l’emploi réellement existant dautre part. L’édifice général qui porte l’organisation et la hiérarchie des diplômes professionnels restera ébranlé voire déstabilisé.
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Pire, aux facteurs déstabilisants internes que la réforme va renforcer s’ajouteront le poids des facteurs externes évoqués qui donnent une physionomie particulière à la crise de la socialisation professionnelle. En sorte que la crise structurelle de l’entrée dans la vie professionnelle détruit tendanciellement les effets de formation au lieu de les renforcer. Ces facteurs inhérents au cours libéral renvoient à la fois à un emploi en miette et à une précarité maximale, au développement d’un travail sans qualité au sens éthique du terme et enfin à un rapport au métier pris en tenaille entre restructuration permanente et difficulté de construction des identités sociales et professionnelles.

De telles considérations dépassent probablement le cadre d’une réflexion sur la seule réforme en cours. Du moins peuvent elles aider à mieux prendre la mesure de la crise actuelle. Au stade où nous en sommes parvenus les solutions alternatives ne releveront probablement ni d’une approche centrée sur le seule sphère scolaire, ni d’une acceptation optimiste ou résignée de la fuite en avant néo libérale tant cette rationalisation normalisatrice est dépourvue de toute dynamique de reconstruction pédagogique et sociale, ni de la pérennisation d’une situation passablement dégradée où parfois hélas le mort saisit le vif.

REPENSER GLOBALEMENT ET ENTREPRENDRE

En matière de formation profesionnelle comment opposer à la globalisation néo libérale un projet alternatif articulant sur un tout autre mode les dimensions scolaires, sociales et politiques ? Autrement dit ce qui se passe en ces domaines doit-il être laissé à la « main invisible » du marché, à l’état éducateur, à l’initiative sociale, à un mixte des trois ?

S’il faut à l’évidence et avec détermination s’opposer au moins d’école et de service public d’éducation une alternative ne saurait se limiter surtout en matière de formation professionnelle au plus d’école sans rien changer à cette dernière.

La perspective classique d’élévation des qualifications doit se démarquer de la croyance assez positiviste et scientiste qu’il y a élévation quasi automatique et homogène des besoins en emploi qualifié ( ce qui n’est pas le cas) et que la formation doit suivre ce mouvement général. Nous avons connu par le passé une vision archéo-industrialiste et productiviste de cette croyance dans la filiation de la « révolution scientifique et technique ». Une perspective plus moderniste, inspirée par les thèmes de la « société de la connaissance » – poncif libéral s’il en est – et du « capitalisme cognitif » dans une version plus critique existe aujourd’hui. Elle peut alimenter une résurgence de la thématique de l’investissement éducatif avec toute l’ambivalence et les risques d’alignement sur la théorie libérale du « capital humain », des « ressources humaines », etc.. On perçoit les possibles dérives dont la réduction implicite des finalités de la formation à une préparation à l’adaptation aux rapports de production et aux rapport sociaux existant ( ou en devenir).

A rebours du cours néo libéral qui veut faire intérioriser son idéologie et ses pratiques sociales au sein des formations et du fonctionnent institutionnel de l’école, notre proposition sera plutôt de travailler à la promotion d’autres valeurs touchant aux objectifs et aux pratiques de formations : exigence permanente de développement individuel et social, d’émancipation, de formation critique, etc… Articulées avec l’emploi et le travail, il conviendrait de développer ainsi une culture valorisant en priorité un travail intéressant, pourvu d’une utilité sociale et écologique, évolutif, au maximum dégagé des rapports hiérarchiques de domination. D’une façon générale le champ syndical gagnera à être très attentif à l’ensemble des variables : qualité du travail, satisfaction, question d’éthique voire d’esthétique du travail et de la formation.

Cela signifie que d’autres objectifs pourraient dés aujourd’hui être davantage présents, y compris comme éléments structurants d’un enseignement professionnel : réduction du travail contraint, extension du travail libre et créatif pour tous, remise en cause de la division sociale et technique du travail etc… maîtrise collective de l’appropriation sociale du travail, références auto gestionnaires, démocratisation radicale des collectifs de travail ( y compris dans l’école..). Une culture syndicale repensée et élargie a tout à gagner à avancer sur la voie de la critique des rapports sociaux d’exploitation, d’aliénation voire de réification marchande et de domination. Là résiderait une piste pour reprendre les débats sur la formation générale, la formation technologique, la formation professionnelle en cherchant à articuler en permanence question éducative, question sociale et critique sociale.

Francis Vergne. Juillet 2008

Notes. 1.
Le rapport de l’Inspection générale de l’Education nationale sur cette expérimentation, rendu en septembre 2005 (le rapport Prat), était très critique sur le baccalauréat professionnel en 3 ans. Il soulignait dans ses conclusions :

« Le parcours en trois ans n’est qu’un élément de réponse qui ne concerne qu’une faible partie des publics ».
« Enfin, il y a lieu de souligner qu’une grande majorité d’élèves ne peut pas suivre un parcours vers un baccalauréat en trois ans au terme du collège et à ce titre ils ne doivent pas être oubliés, en fermant trop rapidement les sections de BEP ».

Note 2. Le discours de justification est révélateur : il s’agit à la fois de moraliser la pratique de stage… et d’autre part de reconvertir les petits boulots hors temps scolaire – pratique bien réelle en effet – en travail sur des terrains plus proches leur la qualification recherchée. Autrement dit : une entreprise de la branche de formation plutôt que Mac’do ou livreur de Pizza.

Note 3. Ainsi le niveau V sanctionne-t-il le premier niveau de qualification. Le CAP, diplôme le plus ancien, a longtemps bénéficié d’une bonne lisibilité associée à une fierté de le posséder de la part de l’ouvrier professionnel qualifié (dans le taylorisme par opposition à l’OS). Alors qu’il semblait en voie d’épuisement et de marginalisation, sa réapparition dans le champ de la réforme actuelle a pu surprendre. De fait il apparaît plus comme un recours pour ceux qui ne pourraient accorder au Bac professionnel que comme une étape dans une trajectoire qualifiante. Est plutôt confortée par ailleurs la demande qu’ils soient pour l’essentiels préparés par la voie de l’apprentissage.

Quant aux BEP, (à la différence des CAP ils concernaient des champs professionnels plus vastes et accordaient dans leur contenu une place plus grande à la formation générale) ils sont directement en ligne de mire des projets de réforme , leur maintien à la marge en tant que diplôme apparaissant surtout comme une concessions formelle.

Le niveau IV semble devenir surtout en matière des formation professionnelle le véritable niveau de référence. Une vingtaine d’année après sa création, le bilan concernant le bac professionnel est contrasté. Il fut initialement prévu par les CPC (commissions consultatives paritaires qui élaborent de façon concertée les diplômes et leur évolution) comme devant correspondre et répondre à un besoin voire à un gisement d’emploi industriel de type technicien d’atelier. Dans les années 90 a proliféré le mythe du dépassement du taylorisme par « l’ouvrier cognitif ». Mais dans un contexte de désindustrialisation et de montée en puissance des activités tertiaires cette formation s’est généralisée plus dans une logique de poursuite d’étude devenu la norme en Lycée professionnel que comme préparation à un type d’emploi initialement visé. Si la formation est souvent vécue comme valorisante, le problème demeure d’un important déclassement à l’embauche.

Le niveau III recouvre principalement les BTS (post bac lycée) et les DUT (relevant de l’enseignement universitaire) Ces diplômes ont connu un incontestable succès scolaire et social et bénéficient d’une bonne reconnaissance professionnelle. Si on peut estimer que l’on atteint un certain plafonnement dans les BTS pour l’ouverture de sections (certaines surtout industrielles ont du mal à faire le plein..) il y a encore une montée en puissance des DUT. On peut dire que ces diplômes constituent à la fois des passeports pour l’entreprise et des tremplins pour les poursuites d’étude. On mesure probablement encore mal l’impact de la généralisation des licences professionnelles sur les diplômes de niveau III.