De retour du séminaire, une première analyse d’Yves Baunay. Les apports du séminaire, des pistes pour continuer.

Yves Baunay
Chantier travail
Institut de recherche de la FSU
Le séminaire « Les dix ans du chantier travail »

Un événement syndical sur le travail et l’activité

Une organisation facilitante

Du point de vue de l’organisation, le séminaire a tenu les promesses de ses organisateurs du chantier travail. La parole a pu circuler librement, sans hiérarchisation, entre les participants, à partir de leur activité de syndicaliste de terrain ou de sommet de chercheurs, d’intervenant, membres du chantier travail de l’Institut ou d’autres chantiers… Chacun-e s’est senti tenu d’écouter, de contribuer, à partir du vécu de ses expériences sur le travail et l’activité. Les savoirs d’expériences, les savoirs théoriques, les débats de valeurs ont circulé entre les approches micro de l’activité et les approches macro-sociales du travail, dans le contexte actuel, syndical, social et politique. Le nombre limité de participants et leur grande diversité de situation a favorisé les confrontations d’expériences et de points de vue. Les contributions qui ont précédé le séminaire, nombreuses, denses, variées avaient déjà lancé le débat qui a pu se nouer plus rapidement. « Une communauté scientifique élargie » selon les termes chers à Ivar Oddone a commencé à prendre forme.

Une production abondante

Difficile d’évaluer la production effective d’un tel événement. Certaines productions matérielles sont visibles, tangibles : les contributions écrites, les contributions orales, les échanges en ateliers comme en séances plénières… ont laissé des traces. Les transformations invisibles, immatérielles, humaines, se sont produites dans chacun de nous participants et vont continuer à se produire à travers des expériences nouvelles sur le terrain, ou au sein des syndicats… Un séminaire « in » s’est doublé d’un séminaire « off » avec les rencontres inattendues, les échanges informels autour du bar, pendant les repas… Cette production visible et invisible reste à rassembler et à travailler pour continuer à avancer, et produire des alternatives syndicales, sociales et politiques, des transformations concrètes, tangibles, du travail et du syndicalisme. Et là, il y a encore du boulot !

Le « bateau ivre » de la FSU

Du point de vue du travail et de sa transformation, au sein et par la FSU et ses syndicats, je retiens des interventions dans le séminaire, l’image d’un paquebot syndical qui aurait mis le cap (enfin !) sur le travail comme activité, et qui serait à la recherche d’un chemin de navigation encore inexploré. L’essentiel n’est plus d’abord et seulement de comprendre où on en est syndicalement, mais de préciser les objectifs que l’on se donne et le chemin qui nous permettra d’en approcher. Pour le chantier travail de l’institut de recherche c’est aussi un changement de cap qui se dessine, dans le travail réel, pour les années qui viennent. Pour le chantier travail, pour la FSU et ses syndicats, il nous reste à faire de ce séminaire un véritable événement, une étape marquante dans la nécessaire réorientation et renormalisation de nos activités respectives.

Quelle ambition est-on autorisé à se donner ?

Au fil du déroulement du séminaire, j’ai perçu qu’une ambition sociale, syndicale et politique prenait progressivement corps à partir des expériences de recherche-action qui s’entrechoquaient et stimulaient la réflexion collective.

Une ambition anthropologique

Les êtres humains sont des « êtres d’activité » selon Georges Canguilhem, comme cela a été rappelé par une ergologue : Christine Castejon. Dès la première matinée, les échanges se sont noués sur le « comment » : comment on s’y prend pour attraper le travail quand on est chercheur, syndicaliste, travailleur… Si c’est moins noble que le pourquoi, ça conduit immanquablement à s’interroger sur ce qui se joue pour chaque être humain dans son travail : sa santé, son intelligence, sa sensibilité, son psychisme, sa liberté, son émancipation… C’est aussi là que s’enracine l’engagement syndical individuel… et le rapport de force dans l’action collective. Un psychologue et clinicien du travail, Yves Clot, a mis en avant l’énergie extraordinaire disponible dans le combat de chaque travailleur pour faire du bon boulot et conquérir sa santé… une énergie sous-estimée par le mouvement syndical selon lui. Si le syndicalisme veut remettre l’humain au centre, pas d’autres alternatives que de s’emparer de toutes les dimensions anthropologiques du travail.

Une ambition théorique, épistémique

Que de savoirs accumulés, mobilisés dans toutes ces expériences de terrain sur le travail, comme dans les recherches sur le travail : une pratique sociale comme les autres. Le séminaire a mis en visibilité les ressources disponibles et en perpétuelle développement qui s’offrent au mouvement syndical pour se construire une représentation riche et profonde de l’activité de travail. Ce travail syndical sur les savoirs, savoirs d’expériences, savoirs théoriques, travail sur les concepts… nous est apparu tout aussi incontournable que l’apprentissage par l’expérience, et par les confrontations d’expériences.

Une ambition axiologique, éthique

Le mouvement syndical est porteur de valeurs, le travail est traversé par des dilemmes, des choix à opérer, qui ne peuvent être tranchés que par référence à des valeurs, valeurs marchandes mesurables, valeurs non marchandes, « sans dimension » nous rappelle Yves Schwartz. Les échanges d’expériences tout au long des deux jours de séminaire ont mis en évidence des débats de valeurs particulièrement intenses dans nos métiers, une autre source d’énergie propre au travail et à l’activité humaine, selon Yves Clot.

Une ambition sociale, syndicale et politique

Le drame du syndicaliste à propos du travail semble se nouer au delà du comment, sur la question du pourquoi. Prendre en considération le travail, être porteur du point de vue de l’activité dans le travail… oui bien sûr, mais jusqu’où et pour quoi faire ? Dans notre activité syndicale quotidienne, faut-il changer la focale ? la déplacer, l’élargir… pour faire toute sa place au travail comme activité ? Et sur quoi cela débouche ? En quoi cela produit-il de l’action syndicale, de la mobilisation collective, du rapport de force ? Ce débat tant attendu par le chantier travail, par les chercheurs, par les syndicalistes engagés dans les CHSCT… a enfin émergé au cours du séminaire. Les expériences des CHSCT, les combats (souvent perdus) contre les réformes, les nouvelles méthodes managériales… nous donnent à réfléchir sur la place que le syndicalisme doit faire au travail et à l’activité, comme objet et outil de construction des revendication et de l’action syndicale. Ces débats traversent la FSU et ses syndicats, mais aussi la CGT et Solidaires, comme l’ont rappelé leurs représentants.

Conclusion

Le séminaire « Les dix ans du chantier travail » fera vraiment événement, non pas seulement par ce qu’il a produit avant et pendant les 1er et 2 février, mais d’abord parce que l’Institut et la FSU avec les autres organisations syndicales associées seront en capacité de produire au delà du séminaire.

Deux propositions complémentaires à débattre :

  • L’embryon de « communauté scientifique élargie » constituée à l’occasion du séminaire, devrait s’organiser à l’initiative du chantier travail pour continuer le travail collectif engagé, en intégrant tous les participants et en poursuivant le débat sur un blog par exemple.
  • Formaliser notre volonté de poursuivre ces rencontres productives sur le travail et le syndicalisme, en proposant aux participants d’en faire des rencontres annuelles sur le modèle inventé à l’occasion de la première expérience.

Yves Baunay