Depuis la loi du 09 août 2019, la Fonction publique s’autorise à rentrer dans une nouvelle ère : celle de la précarité assumée. Par l’accès facilité au recours au contrat et sa promotion, la transformation de la Fonction publique a pour dessein de libérer l’État des contraintes « à long terme » que les gouvernements libéraux associent au statut.
Des militantes de la FSU ont décidé d’ouvrir un nouveau chantier qui a pour objectif de traiter des impacts du statut de « non-titulaires » tant sur le plan personnel (impacts économiques, impacts psychologiques, impacts sanitaires… ) que sur le plan professionnel (impacts sur le service rendu au public, impacts sur la gestion RH, impacts managériaux…).
Pour autant, la privatisation des services publics existe depuis de nombreuses années, en premier lieu dans la territoriale ; bien que ceci pouvait en partie être expliqué auparavant par des emplois « de cabinet », le recours au contrat s’est depuis étendue au-delà de ces emplois.
Malgré la création de différents plans de titularisation au fil des années, malgré leur prolongation à répétition (tel que la loi Sauvadet du 12 mars 2012), un nombre non négligeable d’agent-es remplissant les conditions ne passaient pas la titularisation pour autant.
Revendiquant depuis de nombreuses années pour que la Fonction publique se donne les moyens de faire vivre dignement ses agent-es et mette fin à la précarité par la création de plan de titularisation ambitieux, la FSU organise chaque année une journée des Agent-es Non Titulaire de la Fonction publique. Témoignages à l’appui de tous les versants de la Fonction publique et tous les ministères, des questions différentes se posent pour les agent-es concerné-es : corps de titulaire existant ou non, CDD ou CDI, grille salariale négociée ou absence totale d’encadrement des contrats… Ce sont autant de difficultés rencontrées par les personnels, qui remontent vers les syndicats nationaux de la FSU, quand l’agent-e ne démissionne pas avant.
Malgré le turn over élevé ou encore la détresse économique et psycho-sociale subie par les agent-es non titulaires et dénoncés par les syndicats de la Fonction publique depuis de nombreuses années, la loi du 6 août 2019 est présentée comme une avancée pour ces personnels (prime de fin de contrats, portabilité du CDI, rupture conventionnelle, alignement des droits familiaux…).
Mais à l’heure où les agent-es non titulaires représentent déjà plus de 17 % des agent-es de la Fonction publique (soit 966 000 agent-es), qu’en est-il vraiment des répercussions de ce « non-statut » pour ces personnels ?
L’Institut de recherche de la FSU se penche aujourd’hui sur la question de la contractualisation de la Fonction publique sous différents regards.
• Se substituant à une Fonction publique de carrière, la hausse des CDI depuis 2006 a un impact évident sur le fonctionnement des services publiques, mais aussi sur le travail des agent-es et, de facto, sur le service rendu aux usager-es. La budgétisation annuelle des effectifs remet en question systématiquement les besoins en postes, quand ceux-ci sont contractualisés. Tel est le cas notamment dans la Fonction publique territoriale, notamment sur des missions non obligatoires comme les services de protection maternelle et infantile ou encore les services des sport), où le recours aux agent-es non titulaires permet plus facilement à la collectivité de se désengager. La continuité des projets pédagogiques d’école municipale de musique alors que les professeurs de musique sont mutés tous les ans dans un nouvel établissement.
• Alors que les contrats de droit privé – pour le secteur privé – prennent appui à minima sur les conventions collectives, l’augmentation du recours aux contrats de droit public pour les agent-es contractuel-les dans la Fonction publique, en écho avec tout ce qui n’est plus financé par l’État, génère une perte de droit pour les agent-es non titulaires. Les différences entre privé et public s’accroissent au lieu de se résorber (fonctionnement, travail, payes….) principalement depuis 2007 et la politique menée par le président Sarkozy. A profession similaire, un salarié du privé peut se voir proposer une convention collective lui assurant un un salaire de départ fixé et une évolution de salaire en fonction de son ancienneté/expérience. A contrario, un-e agent-es contractuel de la Fonction public ne pourra pas négocier son salaire à la signature du contrat, et n’aura aucune perspective de carrière si celui-ci n’est pas adossé à une grille et encore moins s’il n’est pas basé sur un indice. Les ANT de la Fonction publique ne bénéficient pas des mêmes avantages sociaux liés à l’action sociale à l’inverse de ce que proposer le panel du comité d’entreprise. Quand en Seine Saint Denis (93), un-e éductateur-trice suit une formation, il-elle reste soumis par contrat à rendre trois fois le temps de formation à son employeur.
• A l’inverse d’une gestion de masse pour les fonctionnaires, les ANT sont affecté-es sur une mission. La gestion en termes de ressources humaines des agent-es non titulaires est ainsi rendue est plus difficile ; d’autant plus s’il y a situation de concurrence sur le poste. C’est ce que l’on retrouve pour les psychologues de l’administration pénitentiaire recrutés exclusivement sur contrats, sur des salaires aléatoires (dernier en date 2 500€ net sortants d’école) dépassent parfois de 600€ les salaires des plus anciens sur poste.
• La contractualisation a aussi un poids sur la docilité des agent-es, par le biais du contrat de travail ; c’est ce cadre non sécurisant qui cause amène les agent-es -notamment les AESH- a accepter des délais de signature de CDD de plus en plus courts, et à enchaîner plusieurs mi-temps en se pliant aux contraintes de déplacements, sans ne rien pouvoir faire valoir.
• Alors que la formation professionnelle passe aussi par la socialisation professionnelle, l’absence de formation adaptation ou de formation aux missions questionne sur le rapport que va développer l’agent-e contractuel-le au métier et à la hiérarchie, impactée par cette première socialisation professionnelle soumise aux contraintes que nous avons évoqué précédemment.
• Cette préoccupation renvoie aussi au problème de la contractualisation du management, avec l’arrivée de personnels « managers » qui ne sont pas formés à la filière ou au service public dans lesquels ils travaillent, mais qui sont là pour faire leur métier de manager et non pour résoudre les problèmes professionnels.
• Enfin, il y a bien sur la question de l’impact économique ; que ce soit pour les services public – une étude menée dans l’enseignement agricole a déjà démontré une corrélation entre le traitement des agent-es non titulaires et la santé économique des centres de formations où travaillaient lesdits ANT- ou que ce soit pour les agent-es directement.
Ce chantier a ainsi pour objectif de traiter des impacts du statut de « non-titulaires » tant sur le plan personnel (impacts économiques, impacts psychologiques, impacts sanitaires… ) que sur le plan professionnel (impacts sur le service rendu au public, impacts sur la gestion RH, impacts managériaux…).
Avec une part de près de 70% de femmes parmi les agent-es contractuel-es, ce chantier ne fera pas l’économie d’une réflexion sur la prise en compte d’une dimension genrée, en lien avec le chantier « Femmes Savoirs Pouvoirs ».
La difficulté pour les syndicats à accompagner ces agent-es contractuel-les (in exentso, à mener ce chantier) est renforcée par la précarisation de l’accès à leurs droits (absence d’information à l’entrée dans la Fonction publique, méconnaissance des services RH quant aux droits des agent-es non titulaires, pressions hiérarchiques…). Cette difficulté sera traitée en liens étroits avec le chantier « Travail et syndicalisme », ce qui permettra ainsi de mettre en exergue les travaux de ce chantier à l’aune de la loi de Transformation de la Fonction publique.
La participation de toutes et tous, notamment dans le relais des enquêtes qui feront avancer ce chantier, sera une étape essentielle pour prendre pleinement en compte toutes les problématiques liées à la contractualisation de la Fonction publique.
Laura Lalardie Psychologue de l’administration pénitentiaire SNEPAP
Nina Palacio professeure des écoles SNUipp