Autour de quelques questions posées à la recherche et au syndicalisme

Travail et néo libéralisme
Autour de quelques questions posées à la recherche et au syndicalisme
Par Francis Vergne
Le retour de la question sociale du travail
La question sociale du travail se réinvite dans la conjoncture présente. De façon bruyante et
spectaculaire le candidat aujourd’hui président reliait condition de vie et rémunération dans un
slogan qui depuis a fait « pchitt… » : « Travailler plus pour gagner plus ».
Du moins signalait-il à sa façon la mise en question d’un discours qui nous avait été asséné
de façon péremptoire dans les années 90 et dont l’ambiguïté perdurait : celui de la fin du travail et
de la possibilité même d’un emploi pour tous avec l’impératif de rechercher ailleurs, dans la multi
activité par exemple les sources de reconnaissance sociale et d’épanouissement personnel.
La centralité incontournable, complexe et ambivalente du travail a rattrapé ces idéologues et
il n’y a pas lieu de s’en plaindre dans la mesure où la place est laissée à d’autres voix venues du
coeur d’un salariat certes malmené et éclaté mais bien réel et bien présent même s’il n’est pas assez
visible et audible (ce qui est l’un de nos problèmes et l’une de nos responsabilités syndicales).
D’autres indices empruntés à la littérature, comme les romans de Gérard Mordillat ou au
cinéma (on peut songer au beau film de Sophie Bruneau et Marc Antoine Roudil, Tous n’en
mourraient pas mais tous étaient frappés ou à différentes réalisations de Laurent Cantet) confirment
que le thème du travail connaît une nouvelle et juste actualité.
Peu relayée par une certaine gauche, qui ne semble guère pressée de prendre des
engagements précis en ce domaine, les revendications salariales du monde du travail expriment à la
fois une exigence de survie pour toute une partie du salariat (cf. la multiplication des travailleurs
pauvres) et une exigence de justice sociale dans la mesure où un fait majeur de ces dernières
décennies est bien l’exploitation accrue du travail au profit du capital.
A cet égard le discours présidentiel a fonctionné comme un leurre : la revalorisation
symbolique de la valeur travail, source proclamée d’intégration et de réalisation de soi est la tenue
de camouflage d’une dévalorisation réelle. Les moyens de la réaliser n’ont rien de mystérieux :
— en détricotant la loi sur les 35 heures et par la promotion des heures supplémentaires il s’agit in
fine de travailler plus longtemps,
— en défaisant le code du travail il s’agit de rendre ce dernier plus flexible encore,
— en laissant aux accords d’entreprises le soin de régler la plupart des questions dans un rapport de
force dégradé pour le salariat il s’agit de rendre le travail globalement encore moins cher.
Très peu de salariés sont dupes mais si une lucidité regagnée nourrit chez une fraction non
négligeable un incontestable rejet de classe, toute une palette de sentiments et de points de vue
existe dans un salariat objectivement fragmenté, déstabilisé voire parfois déboussolé (le
pourcentage de votes en faveur de l’extrême droite au sein de toute une frange du prolétariat en est
un indice) et rendu en tout cas vulnérable par la pression du chômage et de la précarité. Entre
attentisme et consentement plus ou moins résigné, le doute paralysant existe chez beaucoup quant à
la possibilité de s’opposer de façon victorieuse à un rouleau compresseur libéral dont chacun perçoit
les effets négatifs tout en se demandant comment les combattre efficacement.
Cette question interroge naturellement des stratégies syndicales parfois jugées peu efficaces
et qui subissent elles aussi le contre coup de cette situation sans pouvoir déjouer tous les pièges d’un
adversaire gouvernemental qui a incontestablement la main et qui entend maintenir la pression et le
cap sur les contre réformes structurelles que le Mefef et lui jugent indispensables.
L’objet de ce texte n’est pas de discuter de ces stratégies et des revendications en tant que
telles mais plutôt de donner quelques éléments propres à ne pas laisser la main à l’adversaire (ce fut
globalement le cas lors de la campagne des élections présidentielles de 2007) et d’aider au contraire
à reconquérir et à reconstruire un point de vue social et syndical sur le travail.
Plusieurs aspects seront abordés et il nous semble assez évident en particulier que la
question de l’emploi est indissociable de celle du travail. L’une des habiletés du discours de droite
de ces derniers mois aura été en définitive, au nom de la prééminence de la valeur travail de
produire une justification pour accepter les pires conditions d’emploi et de travail. Tout plutôt que
l’inactivité coupable. Les derniers dispositifs prévus pour que les chômeurs acceptent tout emploi,
même fort éloigné sur le plan géographique et professionnel de ce qu’ils peuvent s’estimer en droit
d’attendre, vont parfaitement dans ce sens.
Nous en tirons la conviction que la réponse à une offensive aussi globale et déterminée
passe, entre autre, par une compréhension d’ensemble des enjeux de l’évolution du rapport au travail
dans toutes ses dimensions. Cet article, par un détour qui emprunte largement aux analystes
critiques et radicaux du travail comme espace ambivalent de socialisation mais aussi de domination,
essaye d’y contribuer.
Une double crise du syndicalisme et du travail
Comment, dans la phase actuelle de domination du néo libéralisme, le syndicalisme peut-il
développer un point de vue spécifique sur le travail ? La question semble d’autant plus importante et
délicate à traiter que nous sommes sous l’emprise d’une double crise qui concerne à la fois le travail
et le syndicalisme. En perdant beaucoup d’impact sur la maîtrise et l’amélioration des conditions de
travail le syndicalisme nourrit un doute quant à sa fonctionnalité. Mais en échappant de plus en plus
à une régulation collective un travail presque entièrement modelé et commandé par le libéralisme
perd toute une part de son sens social.
Historiquement le mouvement syndical s’est construit à partir de la résistance à
l’exploitation. Il s’est également référé à l’expérience au travail dans ce qu’elle peut avoir d’exaltant
(la solidarité) mais aussi de mutilant (concurrence, dépossession de l’objet de son travail, etc.). La
représentation syndicale du travail et ses revendications en portent la marque : être davantage
reconnu et répartir mieux les fruits du travail, plus que transformer en profondeur les rapports
sociaux liés au travail. Le mouvement syndical peine, semble-t-il, aujourd’hui en particulier à
proposer des cadres de socialisation qui réconcilient au moins partiellement les individus avec eux
mêmes et la problématique du travail.
Pourtant, sur la base de travaux réalisés dans un chantier mis en route il y a quelques années
avec l’institut de recherches de la FSU (1), je ne peux que souligner la disponibilité de bien des
syndicalistes à s’interroger sur leur travail, leur implication, leur envie de dire et d’expliquer, la
qualité de parole et de réflexion manifestées. En même temps, la difficulté à articuler cette parole
avec la pratique syndicale avait été pointée. Mais, au moins en ce qui concernent les syndicats qui
avaient répondu présents, cela renvoyait moins à une résistance a priori qu’à une absence de
dispositifs susceptibles de mettre en perspective ces matériaux. Que faire en somme de ces éléments
de réflexion multiforme ? Que disent-ils des sujets réfléchissant à leur travail et s’exprimant là
dessus qui puisse être relayé syndicalement ?
Le contenu des entretiens réalisés à cette occasion ne dit rien au fond qui soit contradictoire avec les
principaux mandats syndicaux. Mais des choses importantes s’y trouvent dites dans un langage et
une construction de pensée – je pense en particulier à tout ce qui touche à l’éthique professionnelle
- qui ne rentrent pas dans les catégories traditionnelles d’expression du syndicalisme. Cela
s’explique en partie par la centration sur le sujet individuel. Mais les attentes et désirs exprimés
successivement par les individus renvoient à des aspirations collectives et partagées qui se trouvent
elles aussi peu ou mal retraduites. On a pu évoquer à cet égard un fonctionnement syndical pas
suffisamment à l’écoute et pour partie coupé du milieu. Mais cette explication reste partielle voire
circulaire quant à l’élucidation du malentendu : pourquoi les syndicats n’entendent-ils pas assez et
ne retraduisent-ils pas ces messages ?
Face à cette double crise, la thèse défendue ici consiste à essayer de penser ensemble
l’évolution du travail sous l’emprise du néolibéralisme et la possible émancipation du travail et dans
le travail. Nous proposons donc une interrogation conjointe des grilles de lecture de l’évolution
contemporaine du travail et questionnement sur les pratiques sociales et syndicales par rapport au
travail. Souvent occultée cette problématique n’en est pas moins présente de façon latente sur les
lieux de travail : pour beaucoup le travail est bien cet espace paradoxal et singulier où l’on « perd sa
vie à la gagner ». Comment dès lors le mouvement syndical peut-il promouvoir des actions
collectives orientées vers un dépassement de la société présente et du rapport au travail aliénant
dont elle est porteuse ?
La série de remarques qui suit se conçoit donc comme une contribution à la construction
d’un point de vue syndical critique sur le travail.
Construire un point de vue syndical critique sur le travail
La première remarque est une interrogation sur les conditions de possibilité d’une critique
syndicale du travail à l’heure du triomphe, au moins apparent, d’un néolibéralisme dont l’impératif
catégorique serait de « travailler plus pour gagner plus » (pour ceux du moins qui ont la possibilité
d’avoir un emploi).
L’interrogation sur le travail se manifeste en fait depuis plusieurs années au travers de très
nombreuses publications. Elle s’effectue dans un contexte de déstabilisation du travail, produit lui
même d’une révolution néo-libérale qui a bouleversé et remodelé dans un sens très régressif les
cadres d’emploi, les conditions de rémunération qui donne un prix au travail et les collectifs de
travail eux mêmes…
L’incapacité (et/ou l’absence de volonté) des politiques néo libérales à endiguer l’extension
du chômage de masse et la précarité a contribué à accentuer le malaise et à radicaliser
l’interrogation. Il y a crise des représentations du travail et si un accord assez large se fait sur
l’ampleur des mutations, grilles de lecture et conclusions divergent. La question peut, au fond, être
posée dans ces termes : le post fordisme dans lequel nous sommes entrés (marqué par
l’informatisation généralisée et la dématérialisation du travail) donne-t-il les bases d’une possible
réappropriation des moyens et des résultats du travail, d’une transformation radicale du salariat
(son abolition ?) et du dépérissement du règne de la marchandise. Avec l’intellectualisation,
l’abstraction croissante et l’incorporation de l’initiative individuelle, le travail peut-il, au moins pour
partie, s’émanciper et émanciper ?
Autrement dit, connaissons nous une transformation décisive non seulement des procès de
travail, mais du rapport social au travail appelé à céder la place centrale qu’il occupe (occupait ? )
dans nos sociétés ? Vivons nous la « fin du travail » (« une valeur en voie de disparition », nous dit
Dominique Méda) et, si oui, quelles conclusions en tirer ? Faut-il en prendre acte et développer pour
l’essentiel l’activité et l’existence sociales hors du travail ? Doit-on sortir du travail, mais alors par
quelle voie et pour aller où ? Ou au contraire le réinvestir à partir d’exigences nouvelles
(écologiques et sociales, éthiques et esthétiques), s’attacher à en modifier dans un sens progressiste
le contenu et le sens ?
Si nous pointons ces attitudes possibles c’est parce qu’elles peuvent être mises en rapport
avec les grilles de lecture que la recherche syndicale peut construire ou s’approprier en matière de
compréhension des enjeux du travail. La première orientation pointée plus haut (l’exode hors du
travail) est peu présente dans le champ syndical (même s’il n’en va pas forcément de même dans les
associations de chômeurs et précaires telles qu’Agir contre le Chômage). La seconde orientation
donne par contre lieu à des traductions et des variations diverses, qui vont de l’accompagnement
« social libéral » à des propositions de changement plus ou moins radicales.
Dans les années 1970 beaucoup de travaux avaient focalisé leur analyse sur le contenu du
travail taylorisé (monotone, répétitif, déshumanisant, physiquement pénible). Le basculement dans
le post fordisme a été l’occasion de lier parfois avec un certaine naïveté (ou duplicité)
modernisation technologique et démocratisation de l’entreprise, enrichissement du travail,
reconnaissance des qualifications et nouveaux droits individuels et collectifs. Le temps semblait
venu pour certains de nouer, sous peine de disparaître dans les poubelles de l’histoire et de se
ringardiser, les alliances avec le patronat moderniste pour un deal « gagnant gagnant ». La mode fut
à l’investissement des « cercles de qualité », à la promotion de « nouveaux critères de gestion ».
L’attention se porta sur une « gestion prévisionnelle des emplois et des compétences ». Aux anciens
héros laborieux du travail se substituait la figure du travailleur autonome, polyvalent et flexible,
pleinement pénétré et promoteur du projet d’entreprise.
Jean Pierre Le Goff a analysé avec beaucoup de pertinence le management moderniste et
participatif comme opération de mobilisation interne pour obtenir l’adhésion des salariés aux
objectifs de l’entreprise (mais le schéma vaut plus largement pour l’ensemble des administrations et
des institutions qui enjoignent à chacun de devenir « entrepreneur de soi-même »). Récupérant à son
profit des thèmes de Mai 68 (épanouissement individuel, aptitude à l’autonomie, valorisation de
l’expression et de la communication), ce management dénie en permanence le caractère
contraignant du travail, comme le bien fondé du pluralisme et du conflit. L’injonction est à
l’épanouissement personnel dans l’entreprise, le travail créateur permettant de se réaliser. Mais il
faut pour cela disposer et susciter les cadres mentaux et comportementaux adéquats : place aux
stages de développement personnel, au coaching, à l’ instrumentalisation de type behaviouriste.
L’entreprise devient alors cette très totalitaire barbarie moderne qui substitue au morcellement du
corps taylorien le morcellement d’un psychisme décomposé et reconditionné en comportements de
base en vue d’obtenir une mobilisation totale de la force de travail. Les objectifs de l’entreprise étant
intériorisés, l’exploitation deviendrait auto exploitation dans la joie.
On mesure probablement mal l’ampleur des dégâts opérés par le management néo libéral sur
la culture du monde du travail (en terme de dévalorisation individuelle et collective de ceux qui
n’entrent pas dans le moule) et la culture syndicale. D’autres travaux critiques relevant de la
sociologie du travail – nous pensons aux travaux de Coriat, de Lojkine ou encore de Danièle
Linhart – ont heureusement permis de montrer que ces innovations étaient avant tout de nouvelles
méthodes de contrôle social. Derrière la pacification sociale annoncée une guerre de classe,
entreprise concertée de démolition et de destruction de la culture et des pratiques sociales critiques,
a été menée sous le drapeau d’une communication souveraine qui prétend abolir la différence de
points de vue et le conflit par un dialogue totalement biaisé qui génère auto censure, conformisme
par désir de plaire, abandon de son éthique et de ses valeur propres (2).
Par une autre voie, les recherches d’Yves Clot en psychologie du travail ont montré que dans
les nouveaux systèmes de travail, il fallait que les ressources humaines puissent être activées et
mobilisées pour communiquer et échanger. Mais celles-ci le font sur le mode de la « subjectivité
prescrite » qui génère d’importantes contradictions. D’une part, la disponibilité humaine sollicitée
par les changements techniques est mal supportée par le système ; d’autre part, les salariés dont on a
mobilisé la subjectivité acceptent de plus en plus mal de ne pas être en position d’interroger les
finalités imposées à leur acte de travail. On connaît les ouvertures que cela offre pour Yves Clot
quant à une réappropriation possible du travail et le rôle que jouera là le libre dialogue et la
controverse professionnelle. Ce sont cependant les limites d’une psychologie du travail que de tenir
à l’écart les motifs socio-politiques qui font se reproduire le système, ce qui justifie le souci
d’ouverture et d’articulation d’une telle approche avec d’autres également critiques mais sans doute
plus globales.
L’intelligence des automatismes sociaux du travail.
Jean Marie Vincent (3) est probablement l’auteur qui, au travers de ses ouvrages et de la revue
Futur Antérieur, a produit les outils à nos yeux les plus pertinents pour une approche critique
générale du travail à l’heure du post fordisme. Non, à vrai dire, pour rendre compte du travail en
général et dans sa polysémie mais du travail comme rapport social dominé par la condition salariale
(qui, elle, n’est guère en voie de disparition mais au contraire en extension, fut-ce sous des formes
précaires et éclatées) et les rapports marchands (le marché du travail). Pour Jean Marie Vincent c’est
bien à cette forme dominante du travail que nous sommes confrontés et ce sont les rapports sociaux
de domination, d’exploitation et de subordination du travailleur qui le définissent et qui rendent
intelligible dans notre société cette activité humaine. Reprenant et actualisant la thématique du
« général intellect » formulée par Marx dans les Grundisse, il montre que la socialisation qui est
aujourd’hui à l’oeuvre dans le travail – contrairement à la période taylorienne – requiert qu’au moins
une partie des travailleurs possèdent une intelligence de la production, participent aux micro
décisions, investissent leur subjectivité et leur inventivité. La force de travail immédiate présente
dans le processus productif est bien de plus en plus intellectuelle et immatérielle.
.
Mais si le capital investit le procès de production de connaissances, il fragmente en même
temps les savoirs d’une manière qui les empêche de se constituer en intelligence collective et en
moteur de sociabilité nouvelle. Le capital s’évertue en somme à « produire de la non intelligence
dans l’intelligence généralisée » (Vincent, 1998) Il fait tout pour que, fragmentés et cloisonnés, ces
savoirs s’épuisent dans les usages que l’on fait d’eux. Jean-Marie Vincent rejoint, sur ce point du
moins, certaines remarques d’André Gorz qui note dans un des ses ouvrages fondamentaux que « le
post fordime se présente à la fois comme l’annonce d’une possible réappropriation du travail par
les travailleurs et comme la régression vers un asservissement total, une quasi vassalité de la
personne même du travailleur. L’un et l’autre aspects sont toujours présents. » (Gorz, 1997).
Émancipation virtuelle et contrôle social accru coexistent avec une forme de « personnalisation de
l’assujettissement » pour reprendre une expression de Paolo Virno. La critique générale de la
valorisation capitaliste contemporaine comme l’attention apportée à l’expérience subjective dans le
travail et le hors travail convergent pour montrer le poids des contraintes et des déterminismes qui
pèsent sur l’individu dans la vie quotidienne.
Car la subjectivité impliquée est, en même temps, fragilisée et mise à mal dans une
perpétuelle fuite en avant qui impose ses impératifs : anticipation et intériorisation des aléas de la
marche de l’économie, modification très rapide des procédures, flexibilité extrême, qualifications à
reconquérir. La domination du travail abstrait, parce que marchandisé, gagne de proche en proche
un ensemble de territoires de la vie individuelle et sociale : imposition de la temporalité, des
urgences et priorités, école potentiellement réduite au rôle de dispositif préparatoire à l’exercice du
travail salarié, subordination des rapports affectifs et familiaux, des occupations et des loisirs.
L’individu est conditionné à assujettir une part de plus en plus grande de son temps et de sa vie,
d’exercer sur lui-même les contraintes nécessaires pour continuer à « être dans le coup ». Le rêve
d’une réalisation de l’individu par le travail est donc une chimère : il faut tout à la fois s’émanciper
dans le travail et s’émanciper du travail.  » La réalisation de l’individu ne peut être centrée sur le
travail. Elle passe non seulement par l’autonomie dans le travail, mais également hors le travail et
dans des activités multiples » (Vincent, 1994).
La proximité de Jean-Marie Vincent avec la théorie critique de l’Ecole de Francfort pourrait
faire craindre une conclusion exagérément pessimiste et fataliste quant aux actions de possible
résistance. Il n’en est rien. C’est là une divergence avec Adorno ou Habermas (comme d’une autre
façon avec A. Gorz) : Jean-Marie Vincent ne considère pas le travail comme relevant de façon
irréductible de la sphère de l’hétéronomie. Sans tomber dans une légende inversée (telle qu’elle se
présente chez Toni Negri) l’absorption du travail vivant par le capital n’est jamais totale et l’individu
ne se sépare jamais complètement de ses capacités d’agir. L’omniprésence des dispositifs de
consentement suscite un retour de la subjectivité et d’une réflexivité critique des sujets dominés.
C’est dans cette dialectique de domination et de résistance que se constitue la vie au travail qui ne
se résume pas à la servitude volontaire. Le désenchantement à l’égard du travail qui touche
aujourd’hui y compris les couches supérieures du salariat en est probablement un indice.
La qualification du travail est un rapport social
La seconde remarque prolonge la précédente et étend le point de vue critique à la question
controversée de la qualification du travail et de son usage social. Cette question me semble en effet
suffisamment prégnante dans les débats syndicaux et les préoccupations des salariés (et aussi du
monde scolaire) pour retenir notre attention. Considérer comme Pierre Naville que la qualification
est avant tout un rapport social signifie à nos yeux que la qualification n’est réductible ni à un
attribut caractérisable par une essence (principalement technique) ni à une déclinaison codifiée des
exigences du monde de la formation professionnelle ou du monde du travail (qualification versus
compétence ou qualification versus spécification dérivée du métier) se donnant comme une vérité
objective.
Affaire de pouvoir autant que de savoir, la qualification comprise comme rapport social
conduit à croiser trois ordres de facteurs imbriqués. Ils touchent aux modalités et à la durée de la
formation, aux rapports de forces entre capital et travail et enfin aux modes d’appropriation de la
dynamique technologique dominante par le travailleur collectif.
Si la diversité d’acception du terme qualification (et de son objet, s’agit-il de la qualification
de la personne, du poste de travail, de la formation ?) ne fait guère de doute, l’approche de la
qualification en terme de rapport social permet de se situer dans une perspective de mise en relation
des mondes et des acteurs impliqués. Cette mise en relation n’intervient pas seulement pour faire
reconnaître une qualification objective acquise antérieurement et en extériorité par rapport à ce
processus. Elle est constitutive de la qualification dont un des traits majeurs résidera précisément
dans son caractère différentiel et conflictuel. La qualification renvoie moins à un classement
professionnel qu’elle ne désigne une hiérarchie sociale des fonctions et leur légitimation (4).
En permanence les processus de classement – déclassement – reclassement se font, se
défont, se jouent et se nouent au travers de l’accès aux qualifications. De ce point de vue la
distinction parfois opérée entre un monde de la formation censée être régi par les lois du savoir et
celui de l’entreprise intéressée au seul usage utilitaire de compétences doit être relativisée. La
pression utilitariste s’exerce en effet depuis des décennies sur l’école pour former les jeunes aux
emplois existant et préparer au plus tôt leur insertion professionnelle, quitte à appauvrir et
dénaturer les finalités éducatives. D’une certaine façon, l’école est déjà une entreprise. S’ajoute un
fonctionnement global de l’orientation scolaire et professionnelle qui distribue et oriente de façon
hiérarchique et inégale les trajectoires et des destins scolaires et sociaux bien avant le moment (par
ailleurs décisif) de l’entrée sur le marché du travail.
Une conscience syndicale plus aiguë ne devrait-elle pas se dégager de ce rapprochement
forcé de l’école et de l’entreprise et rendre plus explicite la pression exercée sur la construction de la
qualification ? La construction sociale de la qualification dans l’espace scolaire – via principalement
les diplômes – comme dans l’espace du monde du travail (davantage marqué par des certifications
diverses et les compétences) ne se contente pas en effet de décrire et de proposer des critères
objectifs de classification par secteur et par niveau. Elle assigne et légitime une place qui vaut
moins par elle-même que par celles qui sont « au dessous » (et qu’il faut éviter) et « au dessus » (et
qu’il faut s’efforcer d’atteindre). Si les processus d’accès aux qualifications sont différents dans le
monde scolaire et dans celui de l’entreprise, la mise en concurrence et la compétition, la distinction
ou au contraire la relégation symbolique voire la stigmatisation pèsent également lourd.
Cela ne signifie pas bien sûr qu’il ne faut pas défendre les qualifications et les diplômes mais
qu’il faut en même temps garder un regard critique sur ce qui les constitue. Il conviendra en
particulier de distinguer le noyau rationnel au plan technique et relationnel des justifications d’une
division sociale du travail qui renvoie pour l’essentiel à la bonne marche de la reproduction sociale.
Disons les choses de façon prosaïque : la référence faite aux niveaux de qualification (du niveau V
– CAP, BEP – au niveau I et II – supérieur ou égal à la licence) renvoie souvent bien plus à une
position sociale plus qu’à une fonction. Ce qui rend le problème complexe est que parfois les deux
coexistent (5).
Une approche relationnelle et différentielle
La technologie que cristallise la qualification, même élevée, n’est donc en elle-même
porteuse d’aucun mouvement émancipateur. Prolongeant Pierre Naville, Jean-Marie Vincent note
que  » La technologie n’est pas et ne peut pas être dans son environnement capitaliste un instrument
de libération et d’émancipation ; avec les systèmes de formation (et d’orientation professionnelle)
elle contribue à estampiller et à distribuer les formes d’intelligence socialement acceptables et
socialement acceptées » (Vincent, 1995)
S’il convient, à une époque de triomphe des managers qui tend à dissoudre les identités
professionnelles et à denier les spécificités de métier, de défendre le noyau rationnel de la
qualification, il convient également à la suite de Pierre Naville d’en démystifier une présentation
trompeuse, les mots valises et les ornements rhétoriques qui l’accompagnent. Invitation donc à
déplacer le regard pour se centrer sur les relations internes et externes et les opérations qui
structurent la qualification sans occulter leur inscription dans le procès d’exploitation et de
domination.
Cette approche relationnelle de la qualification du travail ne prétend par mettre à jour
l’ensemble des qualités intrinsèques du travail mais renvoie surtout aux opérations qui s’effectuent
pour abstraire le travail et disposer les travailleurs hiérarchiquement en retour. L’analyse du rapport
au travail ne peut être dissociée de celle du salariat comme forme d’échange social de
subordination. Le salarié est en permanence tiraillé entre deux options : consentir à la captation de
son travail et se soumettre aux effets sociaux (emplois déclassés, licenciements, etc.) ou, au
contraire, résister et envisager le rapport au travail comme rapport social à subvertir. Une lecture et
un usage syndical critique de la qualification peuvent y aider. Il ne s’agit pas seulement ici de
retrouver sous le travail prescrit et visible le travail réel et invisible. Il s’agit de se défaire d’un
corsetage qui l’orienterait quasi exclusivement vers la valorisation du capital, de décrocher l’activité
sociale de travail de la reproduction économique et sociale, de s’autoriser contre les injonctions
dominantes des échanges sociaux plus divers et plus libres, de créer, en résistant, de nouvelles
pratiques sociales dans et hors la vie au travail. Ce qui est aussi… un travail.
En recherche des sujets au travail
Ce travail critique touchera aussi, et ce sera ma dernière remarque, aux postures
épistémologiques et militantes que la recherche syndicale peut adopter dans ses rapports avec les
sujets avec qui nous voulons dialoguer. Il peut sembler séduisant de privilégier, tant du point de
vue des intentions et des méthodologies de recherche que des champs d’investigations, les différents
courants qui se revendiquent de la clinique du travail. La perspective est riche et stimulante à
condition de ne pas faire l’impasse sur d’autres approches comme celles suggérées plus haut. A ce
stade, l’important me semble que chacun explicite ses attentes et ses choix de recherche. Non bien
sûr dans un but de normalisation mais pour précisément expliquer et dialoguer autour de ce que l’on
cherche et comment l’on cherche (6).
Nous nous accorderons très largement, je crois, pour récuser une posture scientiste au plan
de la recherche et dogmatique au plan syndical. Dans les deux cas, la figure du chercheur et du
militant qui « savent » a priori pousse à maintenir une distance et une domination symbolique qui
interdisent toute écoute véritable. Le soupçon à l’égard de l’expression de l’autre tient à ce qu’il ne
« ne sait pas véritablement ce qu’il dit ». Seule l’extériorité maintenue d’un savoir et d’un pouvoir
acquis ailleurs permet de dévoiler les croyances sous jacentes de l’agent inconsciemment engagé
dans ses pratiques. Prisonnier des idéologies dominantes, le sujet ne peut accéder sans ce recours
extérieur ni à la connaissance vraie des rapports sociaux, ni à la reconnaissance de ses véritables
intérêts. Images d’un autre âge et d’une autre culture du mouvement ouvrier et du monde de la
recherche sans doute : mais la rupture est-elle aussi nette que l’on croit ? Ne peut-on parfois déceler
des résurgences ?
L’approche privilégiée de la clinique du travail fait souvent référence aux travaux de Yves
Clot. Le chercheur et le militant ne sont pas alors ceux qui savent mais bien plutôt ceux qui font
« accoucher » le sujet de ses difficultés, de ses malaises, des logiques d’action contradictoires dans
lesquelles il est engagé. Loin d’être récusée, la subjectivité apparaît comme un vecteur privilégié
pour dire, par exemple, le mélange de plaisir et de souffrance ressenti au travail. Mais si cette
approche rend bien compte de la richesse et de la complexité du « vécu » du travail, parvient-elle
toujours à articuler le relevé subjectif du rapport immédiat au travail avec la mise en perspective des
trajectoires professionnelles qui font intervenir d’autres dimensions et d’autres rapports sociaux. En
formulant le propos de façon forcément réductrice et un peu polémique, nous pourrions dire – en
personnalisant les approches – que Yves Clot et Claude Dubar ne se parlent guère et que c’est peut
être dommage.
Un autre « rapport social de recherche » (Dubar, 2006) sollicitera et mettra l’accent sur le
récit des parcours de vie au travail en amenant le sujet à reconstruire ses rapports temporels et
spatiaux aux institutions liés au travail. La mise en mot de ce que fait le sujet (voire en contre point
de ce qu’il voudrait faire) dessine alors une attitude que l’on pourrait dénommer herméneutique. Cet
exercice de réflexivité narrative, de mise en récit du moi social n’est pas contradictoire avec la
clinique du travail, mais elle en prolonge et en modifie la perspective en ouvrant la sphère du travail
sur celle du hors travail et réciproquement. Il s’agit moins alors d’inviter à mettre au clair des
motivations plus ou moins cachées que de placer l’interlocuteur en situation de construire et
d’argumenter son point de vue sur sa vie de travail. La question du langage et des catégories de
pensée prend ici toute son importance, de même que la capacité réciproque à communiquer, à
dialoguer, à se comprendre (7).
Des pratiques sociales orientées vers la remise en cause des formes dominantes de
travail.
Au delà de l’effort entamé pour rendre le travail réel visible et lisible, il convient
probablement d’orienter les résistances créatives qui se manifestent dans le travail vers des pratiques
sociales qui dessinent ne serait-ce que l’ébauche d’une mise en question des formes dominantes de
travail. Ces pratiques s’efforceront de prendre en charge l’amont et l’aval du procès de travail.
« Il faut à la fois déconstruire le cloisonnement de l’agir au travail par rapport aux autres pratiques
des individus, mais aussi entre les individus eux mêmes dans le but de mettre fin aux formes
actuelles d’oppression et d’exploitation et de permettre des échanges sociaux plus divers et plus
libres » (Vincent, 1995). Dans une mise à distance – qui n’est pas exode ou robinsonnade – elles
rejoindront ce point important qu’Alain Caillé met en avant dans sa Critique de la raison utilitaire :
celui de la « diversité des modes de vie et des choix existentiels envisageables ». Elles permettront
« que se renforce une dynamique d’auto-institution et d’autoconsistance des relations sociales
rendues plus autonomes par rapport au marché et à l’Etat » (Caillé, 1997)
De telles exigences ne sont en rien contradictoires avec les luttes indispensables à mener en
faveur d’une meilleure rémunération salariale d’une part, d’un recul de la précarité et des formes
extrêmement dégradées d’emploi et de contrat de travail d’autre part, d’amélioration, enfin, des
conditions de travail de tous. Nous pensons simplement qu’elles gagneront à être mise en relation
avec cette perspective émancipatrice plus globale. L’audace est peut être aujourd’hui de revendiquer
pour tous un travail correctement rémunéré, stable et cependant évolutif, socialement utile et
intéressant, écologiquement compatible avec le respect des éco-systèmes, compatible aussi avec son
éthique et ses valeurs, un travail créatif et doté d’un sens esthétique, qui n’occupe pas plus de 35
heures par semaines pendant 37 annuités et demi… J’arrête là l’énumération par crainte que certain
ne s’écrient : « Et pourquoi pas la lune ! » J’attends pourtant que l’on me démontre laquelle de ces
exigences est illégitime.
Reste ouverte la question de savoir si un nouvel équilibre entre travail libre et travail
contraint peut s’établir qui valorise l’autonomie et l’auto organisation et limite l’hétéronomie,
l’aliénation et le poids des contraintes et à quelles conditions ? Sans doute faut-il se défier de deux
légendes symétriques du travail. Une légende noire lirait les évolutions présentes comme une
captation toujours plus forte du travail vivant par le capital et un conditionnement en chaîne de
toutes les opérations qui en amont et en aval façonnent et formatent la force de travail. Une légende
dorée lirait à l’inverse les prouesses technologiques comme une promesse de transformation et de
progrès social à condition de ne pas contester (sinon à la marge) le cours général d’une
mondialisation inéluctable. Elles ont en commun de laisser au second plan le sujet au travail – sous
sa forme individuelle et collective – qui a pour une part importante la clé de l’énigme. Sa parole, ses
essais et erreurs, ses luttes, les formes d’organisation qu’il se donne, ses rêves et ses utopies, ses
pratiques sociales disent beaucoup sur les rapports possibles du sujet au travail et sur les tensions
qui règnent en ces lieux. En situation d’écoute autant que de proposition le mouvement syndical a
tout à gagner à apporter sa contribution propre à la compréhension de cette situation et à favoriser
l’invention de configurations sociales nouvelles et porteuses d’auto émancipation. Après tout, et
plus d’un siècle après, ne sommes nous pas toujours fondés à penser que « l’émancipation des
travailleurs sera l’oeuvre des travailleurs eux-mêmes »
Francis VERGNE
Institut de Recherche de la FSU
Septembre 2008
1. Dans le cadre de ce chantier en effet nous nous étions essayés à interroger des personnels
sur leurs pratiques et leurs identités professionnelles en lien avec plusieurs syndicats de la FSU qui
avaient bien voulu répondre favorablement. Que le Snics, la Snuas-fp, et le Snasub soient à
nouveau remerciés pour leur aide. En contre point, nous avions voulu interroger également des
aides éducateurs sur leur pratiques professionnelles et sur ce qui pouvait apparaître alors ou non
comme un champ professionnel en construction. La disparition – en dépit de sa résurgence sous
d’autres dénominations – des aides éducateurs n’a pas permis de tester réellement notre hypothèse.
La limitation dans le champ fédéral à ces quelques syndicats et professions ne correspondait
pas à un a priori quelconque de la part des initiateurs du chantier mais aux réponses ou non
réponse des syndicats sollicités.
2. Parmi ces travaux, il faut sans doute faire une place spécifique à Philippe Zarifian qui
insiste sur l’ambivalence fondamentale (mais aussi les promesses) de la « raison
communicationnelle » qu’il voit potentiellement remplacer la « raison instrumentale » et qui
pourrait ouvrir un espace d’action voire d’initiative et de liberté pour le travailleur. Dans une
production hautement socialisée et impliquant un usage tout à la fois fonctionnel et sophistiqué des
codes langagiers, la recherche de solutions nécessite sans doute bien des formes nouvelles de
coopération et d’invention. Mais Zarifian pointe probablement davantage des aspirations bien
réelles de salariés à conférer un sens et une utilité au travail qu’une réalité organisationnelle
vraiment existante.
3. Nous ne citerons ici que quelques publications et articles de Jean-Marie Vincent qui ont
un rapport direct avec la critique du travail. On peut renvoyer à deux numéros de Futur antérieur
consacré à ce thème : Futur antérieur, numéro 16, « Paradigmes du travail » et Futur antérieur,
numéro 35-36, « Politique du travail ». Deux contributions essentielles de Jean-Marie Vincent y sont
présentes. « Les automatismes sociaux et le général intellect »,1993, et surtout « La déstabilisation
du travail »,1999. On pourra également se reporter à « La légende du travail » in la Liberté du
travail, coordonné par Pierre Cours Salies, 1995, et surtout à son ouvrage fondamental, d’un abord
plus difficile mais extrêmement riche, Critique du travail, le faire et l’ agir, PUF, 1987.
4. Cette réalité se retrouve dans la pratique quotidienne des professionnels de l’orientation
confrontés à des demandes d’orientation scolaire et professionnelle des jeunes et des parents qui
doivent beaucoup plus à l’idée qu’ils se font de la place souhaitée ou acceptable dans la hiérarchie
sociale qu’à une représentation « objective » des caractéristiques professionnelles des métiers
envisagés. Ce phénomène atteint des dimensions parfois caricaturales par exemple dans le choix
opéré entre différentes écoles d’ingénieurs qui ne sont pratiquement jamais référées à leur champ
technologique mais au prestige associé à leur place dans la hiérarchie des « grandes écoles ».
5. Le descriptif des diplômes de niveau différents dans un même champ professionnel en est
un excellent exemple avec un espèce de proportionnalité inversée entre la technicité attendue et le
niveau de diplôme : le manager de niveau supérieur – issue d’une école de commerce ou d’une
formation de DRH – n’aura à la limite besoin d’aucune connaissance des produits et des procédures
de fabrication. Les énoncés formalisés de la qualification disent donc à la fois quelque chose de la
technicité requise et quelque chose des exigences de conformation de la force de travail et de sa
justification.
6. Nous pensons que l’approche suggérée ici est plus complémentaire que contradictoire par
rapport à certains courants de la clinique du travail. Le débat doit en revanche se poursuivre pour
savoir jusqu’à quel point une conception exagérément anthropologique du travail ne risque pas de
masquer les antagonismes sociaux. La valorisation de l’inventivité et de la créativité présentes dans
l’activité immédiate de travail, n’a probablement pas une valeur intrinsèque susceptible de donner
sens à la situation globale du travailleur salarié. Contrairement aux assertions néo proudhoniennes
qui ont pu un temps faire illusion, le travail concret et individuel, même complexifié, est toujours
capté et reconditionné dans et par les automatismes sociaux du travail abstrait et marchand.
7. C’est sur la base de ce choix épistémologique et militant que des récits de jeunes en fin de
formation professionnelle ont été recueillis et retranscrits dans un ouvrage précédent (De l’école à
l’emploi. Attentes et représentations, F. Vergne, éditions Nouveaux Regards/Syllepse, 1999).